mardi 17 janvier 2012

SOCIETE - Explosions de rue

Plusieurs milliers de Roumains manifestent depuis quatre jours contre le gouvernement et le président Băsescu, lassés par les mesures d’austérité très dures prises depuis deux ans. A Bucarest, de violents débordements ont eu lieu dans la soirée de dimanche

Photo : M.G.

Pour le quatrième jour de suite, la révolte gronde dans les rues de Roumanie. Hier en milieu d’après-midi, sur la Place de l’Université à Bucarest, plusieurs centaines de manifestants s’étaient à nouveau rassemblés. Idem à Timişoara, Baia Mare, Cluj ou Galați. Dimanche, ils étaient 8700 à manifester dans 41 villes du pays, réclamant la démission de Traian Băsescu et la tenue d’élections anticipées. "Les gens en ont marre, ce n’est pas plus compliqué que ça !", explique Marian. "Cela fait trop longtemps qu’on subit sans rien dire : les baisses de salaire, les hausses d’impôts, les lois qui passent au Parlement sans être débattues, la corruption. Ce n’est plus possible !", s’énerve ce quadragénaire.

Né en signe de protestation après la démission du fondateur du Smurd (service d’urgence) Raed Arafat de son poste de secrétaire d’Etat à la santé, suite à un désaccord avec Traian Băsescu sur le projet de loi de réforme de la santé, le mouvement ne s’est pas arrêté, malgré le retrait du projet de loi, vendredi.
Au contraire, il est rapidement devenu l’expression d’un ras-le-bol et d’une colère bien plus larges. Parmi les manifestants, beaucoup de simples citoyens, qui se revendiquent indépendants de toute affiliation politique, et affirment juste exprimer leur colère contre le niveau de vie qui baisse, les impôts qui augmentent, mais surtout contre un système et une classe politique qui ne les prennent pas en compte.
"On réclame la démission de Băsescu, mais que ce soit lui ou un autre, c’est presque un détail", explique Mircea, étudiant à Bucarest. "Ce qu’on veut, c’est que le système change, qu’on en finisse avec le vol et la corruption à grande échelle, les lois adoptées sans débat, les contrats arrangés…" A côté de lui, Mihaela, 64 ans, acquiesce. Retraitée, elle est dans la rue depuis vendredi. "Je n’ai pas l’habitude de manifester. Mais là, l’histoire avec Raed Arafat m’a mise hors de moi. J’en ai marre, j’ai travaillé toute ma vie, j’ai une retraite de 700 lei et me retrouve obligée de continuer à donner des cours pour m’en sortir. Et je ne parle même pas de mes enfants, qui ne trouvent pas d’emploi malgré leurs diplômes. Il faut en finir une bonne fois pour toute avec la corruption, la pauvreté, le système…" Marian poursuit… "Nous ne sommes pas manipulés. Moi en tout cas, je ne suis pas le porte-voix de l’opposition, du PS ou des libéraux, comme le disent certains. Ils ne valent pas mieux que Băsescu et sa clique. Il nous faut du neuf ! Qu’on interdise à tous ces corrompus de se présenter, voilà la solution !"

Des scènes qui rappellent Londres ou Athènes
Hier, un nouveau mot d’ordre a fait son apparition parmi la foule : "Nous, nous ne sommes pas violents." Un peu hébétés après les affrontements de dimanche, qui ont fait une cinquantaine de blessés parmi les manifestants et les forces de l’ordre et des dégâts dans le centre-ville de Bucarest, les manifestants refusent de voir le mouvement associé aux dérapages de dimanche. A en croire les médias, les perturbateurs et casseurs seraient, notamment, des jeunes supporters de foot. Sur Internet, d’autres parlent, plus largement, de jeunes désenchantés, comme à Athènes ou Londres récemment. "C’était violent. A la nuit tombée, on a vu des jeunes cagoulés débouler de nulle part et s’opposer frontalement aux gendarmes", explique Conrad, un étudiant présent depuis trois jours Place de l’Université. "Gaz lacrymogènes, jets de pierre, pétards… il y avait de vraies scènes de lutte, notamment Place Unirii."
Jusqu’alors étrangement muettes, les autorités sont sorties, hier, de leur silence. Le Premier ministre Emil Boc a déclaré que "les violences étaient intolérables" et le ministre de l’Intérieur, Traian Igas, a appelé les forces de l’ordre à prendre des mesures "fermes" contre les débordements. Par ailleurs, Emil Boc a tendu la main à Raed Arafat, affirmant qu’il était le bienvenu s’il voulait participer à l’élaboration de la nouvelle version de la réforme de la santé.
De son côté, l’opposition, par la voix du chef des libéraux Crin Antonescu, a réclamé la démission du gouvernement, la convocation d’une session extraordinaire du Parlement et annoncé la tenue "dans les jours prochains d’un meeting d’envergure" à Bucarest. Les syndicats ont également annoncé être solidaires des manifestations, qui se sont poursuivies hier dans la soirée.
Marion Guyonvarch (www.lepetitjournal.com/Bucarest) mardi 17 janvier 2012

lundi 9 janvier 2012

Le Noël de sang de Ceausescu


En 1989, alors que les "révolutions de velours" se succèdent à l'Est, le "Conducator" dirige toujours la Roumanie d'une poigne de fer. Mais les émeutes de Bucarest, le 21 décembre, font tout basculer: le 25, le dictateur et sa femme sont fusillés au terme d'un procès expéditif. Pour LEXPRESS.fr, acteurs et témoins racontent.


Est-ce la rage, l'impuissance ou la peur ? Un frisson glacé parcourt l'échine de Nicolae Ceausescu, ce 21 décembre 1989. Son visage décomposé, éclairé par un pâle soleil d'hiver, n'est plus qu'un masque pétrifié. Seule l'extrémité de son nez, tranchante comme un carreau d'arbalète, rappelle encore les traits du "Conducator", cet homme aux pouvoirs de demi-dieu qui conduit la Roumanie communiste depuis un quart de siècle. 
Quatre jours plus tôt, des émeutes ont éclaté à Timisoara, à l'ouest du pays, en riposte à l'expulsion de son église du pasteur Laszlo Tokes. Les forces de sécurité ont tiré sur la foule. Un carnage. 
A peine rentré d'un voyage officiel en Iran, le chef de l'Etat convoque un grand meeting, retransmis en direct à la télévision, devant le siège du comité central, à Bucarest. Au pied du balcon : la claque ouvrière. Mais une clameur monte, impossible à étouffer: "Timisora! Timisoara! Timisoara!". Avant de se retirer précipitamment, Ceausescu peut apercevoir ces drapeaux roumains, bleu-jaune-rouge, dont les manifestants ont énucléé les armoiries communistes. Cet étendard cyclopéen devient le symbole d'une révolte prête à emporter l'une des dernières dictatures staliniennes d'Europe. 
Le "Danube de la pensée", le surnom de Ceausescu, vogue à contre courant de l'histoire, menacé par les pacifiques révolutions voisines: Prague, Varsovie et même Berlin, depuis que le Mur a été mis à terre en une nuit. L'URSS de Gorbatchev tente de sauver le système communiste en le rénovant, quitte à mettre fin à la guerre froide. 
Ceausescu, lui, a toujours flatté la fibre nationaliste des Roumains, entretenant la défiance séculaire de ses compatriotes envers les Russes. Sa condamnation de l'intervention à Prague en 1968 lui a même valu une certaine estime en Occident.  
"Ceausescu était le produit du conflit entre deux mondes. Dès lors que les deux acteurs se tendaient la main au-dessus de la Roumanie, il devenait inutile", analyse ainsi Gelu Voican Voiculescu, ministre dans le premier gouvernement post-Ceausescu. [Lire son interview complète]. Et en s'arc-boutant sur les dogmes les plus rigoristes du stalinisme, en imposant le culte de la personnalité, le vieux dictateur s'est isolé, brutalisant les opposants et rudoyant les affidés. 
Désormais septuagénaire, atteint d'une maladive paranoïa (il ne fait plus confiance qu'à sa femme, Elena, n°2 du régime), il rechigne à affronter la réalité. A commencer par ses problèmes de santé, comme le révèle à L'Express l'un des témoins clefs de l'époque, Stefan Andrei, qui fut notamment ministre des affaires étrangères. "Ceausescu ne voulait dépendre de rien, ni de personne, résume Andrei, vivant aujourd'hui en compagnie de ses plantes et de ses souvenirs. Il avait ainsi des ennuis de prostate mais ne voulait pas d'opération. Malgré ses problèmes de vue, il refusait de porter des lunettes. Nous avons d'ailleurs été forcés d'importer d'Occident des machines à écrire avec de gros caractères..."  Après son meeting calamiteux du 21 décembre, Ceausescu refuse toujours de voir les choses en face. 
"J'étais la dernière personne à le rencontrer ce soir là, poursuit Stefan Andrei. Il était calme, inconscient du danger. Jamais il n'a envisagé de se mettre à l'abri. Sinon pourquoi serait-il aller se coucher à 23 heures?" Dehors, une soldatesque déchaînée matraque, mitraille et tue. 
A 5 heures, le lendemain, Bucarest s'éveille, alors que les balayeurs nettoient à grande eau le sang versé sur les barricades, place de l'Université, à l'aplomb de l'hôtel l'Intercontinental. Cette journée du 22 décembre sera décisive. Vers 9h30, la radio annonce le "suicide du traitre Milea": le ministre de la Défense s'est apparemment tiré une balle en plein coeur. 
Nicolae Ceausescu fait alors appel au général Victor Stanculescu, avec lequel il entretient des rapports ambigus. Brillant officier, grand amateur de cinéma (il ne cache pas son admiration pour l'acteur britannique James Mason), Stanculescu tranche avec la fadeur des cadres militaires roumains. C'est à la fois guerrier et un diplomate, aussi à l'aise en treillis que dans ses élégants costumes gris. Mais le Conducator se méfie de ses succès féminins qui pimentent les rapports du KGB. Et de son ambition.
Le chef de l'Etat, commandant suprême des forces armées, l'ignore encore mais Stanculescu a déjà pris ses distances avec la répression: en fin de matinée, il donne secrètement l'ordre aux régiments de regagner les casernes et propose au couple présidentiel de l'exfiltrer par les airs, espérant, dit-il, une fuite définitive vers la Bulgarie voisine. 
A 12h09, une fois cisaillées les antennes du toit, Vasile Manutan, le pilote de l'hélicoptère, arrache les Ceausescu à une foule menaçante. L'avant-garde joyeuse de la révolution, un ex-boxeur, une standardiste puis un flot d'étudiants, force les portes du sacro saint bâtiment. La paperasserie maniaque et scribouillarde de la Securitate (police politique), s'envole depuis les fenêtres comme des confettis un jour de fête nationale. L'hélicoptère des Ceausescu, accompagnés de leurs gardes du corps, commence son vol erratique. "L'oiseau" (son nom de code à la radio) se pose une première fois à Snagov, au nord de la capitale. Puis redécolle 20 minutes plus tard à la recherche d'un abri sûr. Nicolae Ceausescu opte pour Targoviste, ville industrielle ancrée dans une plaine pétrolifère, dans le piémont des Carpates. 

"Ceausescu a été sacrifié pour préserver l'administration du pays. Nous avons perdu l'occasion d'un procès historique "


Finalement, l'hélico se pose, en plein champ, le long de la nationale 7, à Salcuta, à quelques kilomètres d'une unité militaire. Pour la première fois, en belle étoffe et souliers vernis, le couple se frotte au pays réel, dont les biens sont systématiquement exportés pour rembourser les dettes. On y crève de faim. "J'ai beau fouiller dans ma mémoire: ni dans la France occupée, ni en URSS ou dans d'autres démocraties populaires que j'ai visitées, je n'ai rencontré une telle pénurie", écrit Jean-Marie Le Breton, à l'époque ambassadeur de France en Roumanie. 
Ce 22 décembre, vers 13 heures, Marius Popescu, directeur d'une unité agricole d'Etat, son chef comptable et une caissière rentrent en tracteur d'une bourgade proche. A la banque, ils ont dû batailler sec pour obtenir la paie des salariés. Là, ils ont appris à la radio la fuite du dictateur. Et voilà que Popescu aperçoit ce gros hélico, posé à vingt mètres du bitume, derrière les arbres. Il découvre bientôt un Ceausescu "démoli". "Son menton tremble. Elle, fait meilleure figure, relate aujourd'hui l'aimable retraité, encore abasourdi par cette rencontre. Il y avait un plan grandiose pour les empêcher de fuir en fermant les frontières. Et ils étaient là, deux vieux, sur le bord d'une route, en train de faire du stop..."
Vingt-trois minutes après l'atterrissage, les Ceausescu réussissent à échapper aux paysans qui se pressent, gagnant chaque minute en assurance. Ils sautent dans la voiture d'un passant avec leur garde du corps, lui à la place du passager, elle à l'arrière. Le tyran déchu espère rallier Targoviste, pour se mettre sous la protection des ouvriers du combinat. Il se berce encore d'illusions: on l'attend à coups de pierres depuis que Popescu a donné l'alerte en appelant la... télévision. 
A Bucarest, le studio 4 est en effet devenu l'épicentre du Front de salut national, le QG de l'insurrection. Y cohabitent des membres de la nomenklatura soupçonnés de déviationnisme (le gorbatchévien Iliescu ou le francophile Petre Roman, respectivement futurs Président et Premier ministre), des aventuriers comme le géologue barbu Gelu Voican Voiculescu, des poètes et des opposants historiques. L'Histoire se noue en direct et en mondovision, alors que, des rues adjacentes, des snipers tiennent sous le feu ce pouvoir fragile. A 100 kilomètres de là, en rase campagne, de caillassages en fuite dans les bois, les Ceausescu finissent dans une caserne militaire, quartiers de l'unité antiaérienne 01417. 
Le lieutenant-major Iulian Stoica, alors âgé de "29 ans, onze mois et deux semaines", se souvient parfaitement de leur arrivée discrète dans une Aro (4x4 roumain) blanche, peu après 18h30. "Pour lui, la fouille a révélé un agenda vierge et un stylo. Pour elle, un sac de femme. C'est tout", se souvient l'officier. Malgré les ordres destinés à prévenir tout suicide concerté, le couple passe la nuit du 22 au 23 dans le même lit. "A 2 heures du matin, ils avaient trouvé le sommeil, enlacés", témoigne Stoica, désigné avec un camarade pour les surveiller. 
"L'issue s'imposait: c'était la peine de mort" 
Le lendemain, Ceausescu se reprend. Il menace, promet de l'argent et des honneurs à ses geôliers en échange de sa liberté. Le dictateur refuse de manger le gras de porc qu'on lui sert, à cause de son diabète. Les soldats déplacent le couple de bâtiment en bâtiment, dans un command-car ou dans un engin blindé, à l'abri des regards pour parer à un lynchage ou à une opération de libération. Le chaos règne en maître dans ce pays livré à la rumeur: des miliciens libyens appuieraient la contre-révolution, l'eau aurait été empoisonnée, un charnier aurait été découvert à Timisoara... Le sort des Ceausescu se joue le 24 décembre. Le Front de salut national, divisé, opte finalement pour un "procès". On improvise un tribunal à la hâte. Le procureur du parquet militaire, Dan Voinea, alors âgé de 39 ans, rédige le réquisitoire, le 25 décembre au matin. "Je n'ai reçu aucun ordre, assure-t-il. Mais étant donné les charges retenues _ génocide, crime contre l'humanité, destruction de l'économie nationale _, l'issue s'imposait: c'était la peine de mort."
En cette période où rien n'est sûr, pas plus les gens que le ciel, le général Stanculescu impose la fermeture de l'espace aérien. Le 25 décembre au matin, il saute dans l'un des cinq hélicos qui décollent du stade de Ghencea. Cette petite armada de juges, de greffiers et de militaires emporte un long ruban de soie jaune qu'on jettera à l'approche de la caserne, à main droite, pour éviter toute méprise. Les engins frôlent les lignes à haute tension et les puits de pétrole, espérant tromper les radars. A l'intérieur, les coeurs battent au rythme des pales:Apocalypse Now, la trouille au ventre... L'heure du dernier jugement approche.
Le tribunal, à qui le dictateur dénie toute légitimité, a remisé les Ceausescu derrière deux tables en bois qui ressemblent férocement à quatre planches de cercueil. Moins d'une heure plus tard, les derniers mots des condamnés se perdent dans les rafales, lâchées à la hâte. Sur les images, on aperçoit de vagues silhouettes mordre la poussière, au pied d'un mur: le caméraman, affairé à installer une batterie neuve, a été moins prompt que les trois paras chargés de l'exécution. Au retour à Bucarest, les corps sont ensuite promptement enveloppés dans des toiles de tente. Laissées sans surveillance, les cadavres seront égarés plusieurs heures, provoquant un affolement général...
En songeant aux conditions du jugement, Dan Voinea, l'ex-procureur devenu professeur d'université, dénonce avec force une "révolution confisquée" par des apparatchiks: "Ceausescu a été sacrifié pour préserver l'administration du pays. Ainsi, on dédouanait le système. Nous avons perdu l'occasion d'un procès historique, celui du communisme, qui reste à faire." 
Alors que la nuit gagne, ce 25 décembre, la situation se stabilise enfin (on compte plus de 1100 tués dans le pays). Le patron du Steaua, club de foot emblématique de Roumanie, invite même le général Stanculescu à se restaurer. Mais, dans cette ville ouverte qu'est devenue Bucarest, l'eau est coupée. A la guerre comme à la guerre: l'officier s'empare d'une bouteille de whisky et se lave les mains. "Comme Ponce Pilate, lâche-t-il dans un sourire triste. C'est seulement en rejoignant la table que j'ai réalisé: nous étions le jour de Noël..." Cinq jours plus tard, dans le cimetière de Ghencea, des soldats recouvrent deux cercueils d'une terre noire et grasse. La neige, qui commence enfin à tomber, les ensevelit comme un linceul. 
Ecrit avec Eric Pelletier et publié dans L'Express, 14/08/2011, dans la série d'été La Fin des dictateurs.

En complément




Mauvais sort

Entre descente de police, accusations d’escroquerie et projet de loi qui menace d’interdire les pratiques magiques, les sorcières roumaines semblent avoir le mauvais œil. 


Le mauvais sort serait-il en train de s’abattre sur les sorcières roumaines ? Hier, la police et les procureurs de Bucarest ont effectué une descente chez treize de ces vrajitoare. Trois femmes et quatre hommes ont été arrêtés, et sont accusés d’avoir soutiré de l’argent et des biens de valeur à leurs clients. Parmi eux, des personnalités du show-biz roumain. L’une des plaignantes est ainsi la "célèbre" Oana Zavoranu, qui aurait fait appel à Vanesa, l’une des sorcières mises en cause, pour repousser les sorts jetés par sa mère et ses beaux-parents. Mais Oana Zavoranu est loin d’être une victime isolée. Les noms d’Adrian Mutu, Inna, Irinel Columbeanu ou Amelia Năstase (ex-femme de Ilie Năstase) ont ainsi été évoqués dans la presse.
A en croire le porte-parole de la police, Cristian Ciocan, il s’agirait d’un vrai réseau organisé, à la technique bien rodée. Si, au début, les sorcières n’exigeaient que de faibles sommes d’argent et des objets de valeur limitée, leurs exigences augmentaient à mesure que leurs clients devenaient "dépendants" de leurs charmes. Ces derniers devaient emprunter de l’argent pour acheter des maléfices toujours plus chers, et étaient aiguillés vers des complices des sorcières. Ils leur prêtaient de l’argent contre une garantie immobilière, et finissaient généralement par récupérer ce bien. L’une des quatre victimes déclarées (Oana Zavoranu, selon certaines sources) aurait ainsi été délestée de 450.000 euros. Mais les sorcières ne font pas seulement parler d’elles à la rubrique judiciaire. La veille, une dizaine d’entre elles avait fait une apparition remarquée dans la cour du Palais du Parlement. Cartes de tarots, eau bénite, sorts jetés à la cantonade… La petite délégation a tenté de pénétrer dans le Parlement pour rencontrer le député Nicolae Paun, qui a déposé un projet de loi visant à interdire les pratiques "occultes" - lire l’avenir dans le marc de café ou les cartes par exemple. Un projet initié pour mettre fin, justement, aux escroqueries dont peuvent être victimes certains des clients de ces sorcières.
Le texte présenté par Nicolae Paun, député de la minorité rom, prévoit des condamnations de 5 à 15 ans de prison pour les personnes qui continueraient à pratiquer la magie. L’élu n’était pas là, et les vrajitoare n’ont pas pu entrer dans l’enceinte du Parlement, mais ont bien l’intention de revenir et de le pousser à ne pas déposer son projet de loi. "J’ai ici de l’eau bénite, venue de 99 sources. Si je l’en asperge, il sera impuissant à jamais", a menacé l’une des magiciennes présentes.

Ce n’est pas la première fois qu’un projet législatif "menace" les sorcières roumaines. En début d’année dernière, le député Alin Popoviciu avait initié un texte pour taxer les sorcières et les obliger à payer elles aussi 16% d’impôt sur le revenu. Un texte qui avait été rejeté.  

Marion Guyonvarch (www.lepetitjournal.com/Bucarest) mercredi 14 décembre 2011

jeudi 5 janvier 2012

Et sur les ondes

Depuis trois ans, je collabore aussi à Accents d'Europe, une émission diffusée sur RFI.
L'occasion d'une plongée sonore dans l'actualité roumaine. A écouter ici:

http://www.rfi.fr/emission/accents-d-europe


Roumanie : le combat des propriétaires spoliés








Nick Eftemie se bat depuis quinze ans pour récupérer une propriété de famille nationalisée par le pouvoir communiste en 1952. Comme des dizaines de milliers de Roumains.

Bucarest.De notre correspondanteDe son immeuble, Nick Eftemie ne possède, pour le moment, qu'une photo. Depuis près de quinze ans, il mène un combat judiciaire au long cours pour récupérer ce bâtiment, construit à Bucarest par le grand-père de sa femme et nationalisé par le pouvoir communiste en 1952. « Les appartements ont été occupés, ma femme et sa mère ont été expulsées », raconte cet homme d'affaires à la cinquantaine chic.
En 1989, l'effondrement du régime de Ceausescu n'est pas synonyme de retour à la maison pour les centaines de milliers de propriétaires expropriés. Pire, en 1995, la loi 112 va permettre aux locataires occupant les lieux de racheter ces logements à des prix dérisoires. « Cinq appartements sur les neuf ont été vendus, pour des sommes allant de 160 à 850 €, explique Nick Eftemie. Cette loi a permis à d'anciens communistes haut placés de faire de très bonnes affaires. »


 
Depuis, Nick enchaîne les procès pour essayer de faire annuler ces contrats de vente et récupérer les quatre appartements restants, toujours propriété de la mairie de Bucarest. « En 2007, après d'interminables démarches, une partie de l'immeuble m'a été restituée par la mairie. J'ai cru que le calvaire était fini. » Il se trompait. « Depuis trois ans, je n'ai toujours pas pu y entrer, les occupants m'en interdisent l'accès... », soupire-t-il.
« Cacophonie judiciaire »
Comme Nick, des dizaines de milliers de Roumains luttent pour récupérer leurs biens. « Le problème est d'autant plus complexe que les lois successives, plutôt favorables aux nouveaux propriétaires, peuvent être interprétées aussi bien en faveur d'un camp que d'un autre, explique Dan Nastase, avocat spécialiste de la question. Il en résulte une véritable cacophonie judiciaire. »
Ces dernières années, les plaignants ont espéré une solution de la Cour européenne des droits de l'homme, où ils ont déposé des recours par milliers et systématiquement obtenu gain de cause contre l'État roumain. Mais ce dernier n'a pas, pour autant, harmonisé sa législation incohérente.
Lassée, la CEDH a sommé la Roumanie, en octobre, de résoudre ce problème dans un délai de dix-huit mois. Six mois plus tard, le ministère de la Justice se contente de déclarer qu'il planche sur la question. « Encore une fois, l'État va prendre des demi-mesures », avance Dan Nastase. En attendant, Nick Eftemie continue ses pérégrinations dans les tribunaux. Au mieux, il peut espérer récupérer une partie de ce qui lui appartient d'ici à 2015.


Marion GUYONVARCH'.
Ouest-France, publié le 13 mai 2011

Un caillou hongrois dans la chaussure roumaine


Le Pays sicule, où vit la minorité hongroise de Roumanie
, vient d'ouvrir une représentation à Bruxelles. Les autorités de Bucarest craignent un scénario à la kosovare.



Bucarest.De notre correspondante

À Miercurea Ciuc, un jo napot (bonjour, en hongrois) accueille le visiteur. Ici, au coeur du Pays sicule, à cheval sur trois départements du Nord de la Roumanie 85 % des habitants sont d'origine magyare et défendent farouchement leur identité. « Nous en sommes fiers ! Nous essayons de la préserver au maximum, à travers la langue, la culture, les traditions, sans que cela pose de problèmes avec nos voisins roumains, explique Szabo Kazmer, 35 ans, président d'une association. Nous ne faisons que perpétuer l'histoire, nos ancêtres vivaient déjà ici il y a 1 000 ans. »

Depuis le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie en 1920, les Roumains d'origine hongroise (7 % de la population) vivent séparés de leur mère patrie. Discriminés pendant la période communiste, ils défendent fermement leurs droits depuis 1990. Quitte, parfois, à se heurter à Bucarest, où l'on redoute le modèle du Kosovo. Car certains Sicules ne cachent pas leurs rêves d'autonomie.

Promouvoir une région à part entière

Début juin, l'ouverture d'une représentation du Pays sicule à Bruxelles, inaugurée par Lazlo Tokes, le prêtre de Timisoara devenu euro-député, pour « promouvoir la région et attirer les fonds européens », avait déjà ravivé les tensions. Récemment, le projet de réorganisation administrative de la Roumanie, qui prévoit d'englober le Pays sicule dans une grande région, a attisé la colère des Hongrois.

« C'est inadmissible », tonne Izsak Balazs, le président du Conseil national sicule (CNS), qui prône l'autonomie de la région et a symboliquement doté la région d'une assemblée, d'un drapeau et d'un hymne en 2009. « Cela revient à noyer la minorité hongroise et à lui ôter tout pouvoir de décision. Nous voulons au contraire devenir une région à part entière, dotée de pouvoirs pour mener une politique de développement cohérente, sur le modèle des régions décentralisées, comme la Catalogne. On ne veut pas créer un État dans l'État ! »

L'UDMR, le parti hongrois modéré, membre de la coalition au pouvoir, refuse lui aussi cette nouvelle carte de la Roumanie et s'oppose à ses alliés du gouvernement. « Nous allons bloquer cette initiative », a affirmé Kelemen Hunor, son leader. Le CNS a lui déjà lancé un appel à la désobéissance civile. Loin des discours politisés, Szabo refuse aussi de voir le Pays sicule absorbé : « Ça me dérangerait de vivre dans une région où mes traditions ne sont plus la norme. »

Marion GUYONVARCH'.

Ouest-France, publié le 8 juillet 2011

jeudi 17 juin 2010

David Schwartz : « Les répercussions de la minériade sont encore visibles en 2010 »

Il y a vingt ans, du 13 au 15 juin 1990, les mineurs descendaient sur Bucarest pour mettre fin aux manifestations des « golanii », ces opposants au régime nouvellement élu de Ion Iliescu, Place de l’Université. Bilan des violences : 7 morts officiellement, mais près d’une centaine selon d’autres sources, et des milliers de blessés.
Traumatisme de la toute jeune Roumanie démocratique, ces minériades sont encore l’objet de questions sans réponse et ont profondément marqué les esprits et le fonctionnement de la sphère publique. Vingt ans après, elles semblent pourtant être un souvenir flou, refoulé, méconnu par les nouvelles générations. Cinq jeunes artistes roumains ont décidé de s’attaquer à ce sujet délicat, peu abordé contrairement à la révolution. Résultat, une performance à la croisée des genres, qui revient sur ces événements, leur passé et sur la façon dont les Roumains ont digéré ce passé. Capetele Infierbantate se joue demain soir au Centre national de la danse. Interview avec le metteur en scène, David Schwartz.


Comment est né ce projet à la frontière entre l’art, le travail d'historien et le théâtre ?

L’idée de ce projet est née après une discussion avec Mihaela Michailov sur les événements qui ont fortement marqué Bucarest, sur le plan social et politique, après 1989. On s’est arrêté sur les minériades parce qu’il s’agit d'un événement qui a été très peu traité dans le domaine artistique. Nous avons essayé de nous documenter le plus possible, d’avoir une perspective la plus large possible sur les événements des 13-15 juin 1990, puis de construire notre propre perspective à partir de ces points de vue multiples que nous avions rassemblés.

Pourquoi est-ce important de parler de cette page de l’histoire roumaine ?

Le philosophe espagnol George Santayana a une phrase dans laquelle je crois très fortement : « Ceux qui n’ont pas la mémoire de leur propre histoire risquent de la voir se répéter. » Avec ce spectacle, nous avons essayé de susciter le débat, de ramener ce moment très violent de l’histoire récente roumaine sur le devant de la scène, d’autant que nous pensons que les répercussions de cette minériade sont encore visibles en 2010.

Ce spectacle parle de la notion de mémoire. Selon vous, quel rapport ont les Roumains et notamment la jeune génération dont vous faites partie avec ce passé ?

Je crois qu’en Roumanie, l’histoire est falsifiée, notamment dans les manuels scolaires, dans le système éducatif, et de ce fait, dans les mentalités collectives. De Mihai Viteazu à Stefan Cel Mare en passant par l’Entre-deux-guerres et l’Holocauste, il y a des choses cachées, omises, déformées intentionnellement. La jeune génération ignore le plus souvent l’histoire, justement parce qu’elle a conscience de ces falsifications grossières et ridicules. Je crois qu’il est justement important, au moins pour l’historie récente, pour laquelle il existe des témoins directs, qu’on essaie de constituer une archive de l’histoire collective, par le biais des témoignages de ceux qui l’ont vécue. C’est ce type d’archive performative que nous avons utilisé pour Capete Infierbantate et qui permet, je crois, un certain détachement et une objectivité nécessaire. Propos recueillis par Marion Guyonvarch