jeudi 27 mai 2010

L'Express: un hôtel s'installe dans un ancien goulag

Remous dans le delta du Danube: un homme d'affaires français a transformé en hôtel un ancien camp de travail communiste.

Située dans le delta du Danube, le long de la frontière avec l'Ukraine, Periprava est un petit bourg de 150 habitants, perdu au milieu des roseaux et des pélicans. Tellement perdu que les communistes roumains y avaient établi un goulag dans les années 1950. Jusqu'en 1977, des milliers de prisonniers ont travaillé ici comme des forçats, dévorés par les moustiques pendant l'été, tétanisés par le vent glacial en hiver. Des centaines y ont laissé leur vie. Aujourd'hui, seule une croix blanche rappelle ce passé. Et sur les ruines de "0830 Periprava", nom officiel de l'ancien camp, se dresse désormais l'Hôtel de la Dernière Frontière.

Un entrepreneur français, Sylvain Remetter, 50 ans, a racheté le terrain en 2006 et transformé une partie des anciens baraquements en complexe touristique destiné aux amoureux de nature et de pêche. L'établissement 4 étoiles a accueilli il y a quelques mois ses premiers clients. Avec l'aide de fonds européens, Remetter et ses associés espagnols espèrent rénover les 46 bâtisses de l'ex-camp militaire et ouvrir un petit musée. En attendant, les touristes devront se faire à l'idée qu'ils dorment dans les bureaux de l'ancien commandant.

L'entrepreneur ne comprend pas les critiques lancées au nom du devoir de mémoire. Il souligne l'abandon des bâtiments après 1989 et insiste sur la nécessité de développer l'économie régionale. "Je respecte les gens qui y sont morts, explique-t-il. Mais la solution n'est pas de tout laisser en plan."

Par Marion Guyonvarch, publié le 29/01/2010

L'Express: En Roumanie, Dacia tourne à plein régime

Les primes à la casse en Allemagne et en France relancent les exportations du constructeur automobile spécialiste des modèles bon marché.

A Mioveni, la crise n'aura duré que trois mois. Cette petite ville roumaine, située à une centaine de kilomètres de Bucarest, vit et respire au rythme de l'usine Dacia, installée sur une colline avoisinante. Ses rues, où se côtoient les vieilles 1310 et les Logan pick-up dernier cri, ont des allures de musée consacré à la célèbre marque automobile.

Or, chez le constructeur, après une chute au dernier trimestre de 2008, les commandes affluent. Au point que l'usine a dû embaucher près de 500 personnes en contrat à durée déterminée et qu'elle fait désormais travailler ses équipes le samedi. "Après trois mois de panique, la crise s'est transformée en opportunité, se félicite Ion Iordache, l'un des leaders syndicaux du groupe. En Allemagne, on a vendu plus de voitures en trois mois que pendant toute l'année 2008!"

A l'origine de cette embellie, il y a les aides à la casse mises en place dans plusieurs pays européens, dont la France et l'Allemagne, ainsi que l'attrait des modèles bon marché, spécialité de Dacia, pour un consommateur européen de plus en plus économe. "Notre positionnement low cost nous permet de gagner de nouveaux clients, qui ne se seraient pas tournés, avant la crise, vers des voitures comme la Sandero ou la Logan", explique François Fourmont, directeur général de Dacia.

Plus d'un million d'emplois dans le pays

Cette bonne santé ne profite pas seulement à Mioveni. "Dacia fait vivre plus de 150 000 personnes dans la région et près de 1 million en Roumanie", affirme Ion Georgescu, maire de la petite ville.

Sans oublier le poids du symbole: le succès de la Logan et de la marque symbolise, aux yeux des Roumains le potentiel de l'économie du pays. Reste à savoir si l'optimisme sera encore de mise lorsque les grands pays européens auront mis fin à leurs programmes d'aide à la casse, dès septembre sans doute pour l'Allemagne, à la fin de l'année en France. Chez Dacia, on compte, pour assurer la relève, sur le prochain modèle de la marque: un 4x4 à bas coût, dont le lancement est prévu pour l'an prochain.

Par Marion Guyonvarch, publié le 27/07/2009

L'Express: En Roumanie, les Basescu, père et fille

A 29 ans, Elena Basescu, la fille du président roumain, trouble le jeu politique. Et bouscule la campagne.

Dans la famille Basescu, voici la fille. Elena, 29 ans, fille de président, figure de proue de la jeunesse dorée bucarestoise, connue pour ses amours agitées, sa carrière de mannequin et sa vie de noctambule. Depuis peu, la belle brune est aussi candidate au Parlement européen, en "indépendante", semant la polémique dans la campagne.

Car elle pourrait avoir un impact déterminant sur le scrutin, en détournant une partie de l'électorat du Parti démocrate libéral (PDL), celui de son père, en lutte contre le Parti social-démocrate pour l'emporter. Depuis son entrée en politique, il y a deux ans, Elena doit affronter les accusations de népotisme et d'incompétence, entretenues par ses gaffes et ses bourdes grammaticales en série, et prouver sa sincérité derrière son minois de poupée.

Au sein même du PDL, l'annonce de sa candidature sur la liste du parti a déclenché l'ire des intellectuels, qui ont menacé de se retirer. Elena Basescu, prenant tout le monde de court, s'est lancée dans la course en solo. "J'ai choisi de faire le chemin jusqu'à Strasbourg à pied, tandis que les candidats des partis s'y rendront en avion", s'amuse-t-elle à dire.

Ainsi a-t-elle pris Internet d'assaut et investi Facebook, parvenant à réunir les 100 000 signatures nécessaires à sa candidature. Pour la seconde manche, décisive, Elena brandit ses diplômes en économie et son stage au Parlement européen, à défaut d'afficher un programme étoffé.

Bref, un pari risqué qui pourrait se révéler gagnant, comme une bouffée d'air frais. "Jeune, belle, libre, elle n'est pas entachée par des accusations de corruption et peut séduire les femmes et un électorat lassé de ses politiciens", explique Silviu Sergiu, analyste politique.

Après un départ en fanfare, Elena n'attire plus aujourd'hui que 5 à 6% d'intentions de vote. Mais elle a désormais un prénom.

Par Marion Guyonvarch, publié le 02/06/2009

L'Express: L'honneur d'un dissident

Vasile Paraschiv, inlassable opposant de l'ère communiste, attaque l'Etat roumain. Les juges vont-ils enfin lui rendre justice?

A 80 ans, il reste cet éternel esprit libre qui a osé refuser, le 1er décembre, la décoration suprême que voulait lui décerner le président Traian Basescu: chevalier de la Steaua României (Etoile de Roumanie). "Je ne peux accepter une distinction de la main d'un communiste", a-t-il asséné au chef de l'Etat. Tour à tour arrêté et interné en hôpital psychiatrique, Vasile Paraschiv n'a pas seulement ferraillé, durant vingt ans, contre le régime de fer de Ceausescu.

Depuis la chute du régime, en décembre 1989, il a poursuivi son combat par la voie judiciaire, pour devenir, aujourd'hui, un autre symbole: celui de la lutte des victimes contre l'Etat roumain. Dure bataille... Signe que, près de vingt ans après la "révolution", le pays peine encore à digérer son passé.

L'espoir resurgit

Avec l'aide de l'Institut de recherche et d'investigation des crimes du communisme (IICCR), créé en 2005, Paraschiv a d'abord constitué un dossier, accablant, sur la base des archives de la Securitate, la police politique. Puis il a attaqué en justice 67 personnes, psychiatres et ex-membres du Parti ou de la Securitate.

Mais, en 2008, le parquet annonce que les faits sont prescrits... "Très peu de crimes commis pendant la période communiste ont fait l'objet de condamnations pénales, confirme Raluca Grosescu, historienne et membre de l'IICCR. Ils devraient relever de crimes contre l'humanité, imprescriptibles... Les plaignants ont déposé des recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme."

L'espoir resurgit, néanmoins, dans les tribunaux civils, où les victimes peuvent enfin voir leurs souffrances reconnues, à défaut de voir leurs tortionnaires passer en jugement. Le 4 décembre 2008, Vasile Paraschiv remporte sa première victoire: l'Etat roumain est condamné à lui verser 300 000 euros de dommages et intérêts pour les mauvais traitements subis entre 1968 et 1989. Mais il en réclame 1 million. Verdict, en appel, le 9 avril.

Par Marion Guyonvarch, publié le 09/04/2009

Les tribulations des « Chinoises de Bacau »

Début janvier dans une zone industrielle de Bacau, dans le nord-est du pays. Visite de l’usine Wear Company, première entreprise roumaine à «importer» des ouvrières chinoises pour faire face à la pénurie de main d’œuvre. Atelier calme, discours officiel angélique. Deux semaines plus tard, la grève des «Chinoises de Bacau» fait la Une des journaux. Retour sur un feuilleton à rebondissements, qui éclaire sur bien des points la situation du marché de l'emploi en Roumanie.

Huang Hongxia est penchée sur sa machine à coudre. D’un geste sûr, elle pique le tissu et se lance dans la confection d’une veste de ski. Dans cet atelier lumineux, pas un bruit si ce n’est le cliquetis ininterrompu des rangées de machines à coudre en action. Ici, toutes les ouvrières sont chinoises. Rien d’étonnant a priori. Sauf que la scène ne se passe pas à Shanghai ou à Pékin, mais dans une banlieue industrielle de Bacau, métropole de 250000 âmes en pleine Moldavie roumaine.

Pour faire face à la pénurie de main d’œuvre dans le secteur de la confection, Sorin Nicolescu, l’administrateur de cette usine de confection, Wear Company, détenue par un patron italien et financée par des capitaux suisses, pensait avoir trouvé la solution miracle: «importer» de la main d’œuvre chinoise. Début janvier 2007, elles sont 300 à travailler à Bacau et Sorin Nicolescu annonce fièrement que 1000 ouvrières seront dans les murs d’ici au mois de juin. «Nous sommes la première usine d'Europe et même du monde, je crois, à faire travailler du personnel uniquement chinois», se gargarise alors le dirigeant. En six mois, Wear Company devient un symbole, celui d'une Roumanie mondialisée, d'un pays qui doit gérer le départ vers l’étranger d'un très grand nombre de ses travailleurs.

C’était avant. Avant la «révolte». Avant que les dociles ouvrières chinoises ne se mettent en grève et n’attaquent l’administrateur «à coup de fourchettes et de cuillères», comme il l’a lui-même précisé.

« Un patron, je peux lui proposer trois, quatre personnes. Mille, jamais » (un dirigeant de l’Agence pour l’emploi de Bacau)

Cet incroyable feuilleton commence l’an dernier. Wear Company, spécialisée dans la confection de vêtements de ski -elle fournit des marques de prestige comme Vuarnet ou Benetton- annonce qu’elle va recruter près d’un millier d’ouvrières venues de Chine afin de rouvrir son site de production de Bacau. Ancien combinat industriel, l'usine avait été rachetée en 1992. Elle employait alors 2000 ouvriers. En 2003, le site doit fermer ses portes, faute de main d’œuvre. «Peu à peu, de nombreux ouvriers sont partis pour l’étranger, se souvient Sorin Nicolescu. Et on ne trouvait plus de personnel qualifié sur place. On a dû délocaliser la fabrication dans un autre site…» Jusqu’à ce qu’un jour, un partenaire d’affaires évoque devant Sorin Nicolescu la possibilité de recruter des ouvrières asiatiques. Séduit par l’idée, il entame les démarches.

«La première étape a consisté à prouver qu’il n’existait pas de personnel roumain disponible, car la loi autorise la venue de travailleurs étrangers seulement dans le cas où la main d'oeuvre roumaine est insuffisante», explique Octavian Ticau, chef de service à l’Agence pour l’occupation de la force de travail de Bacau (l’ANOFM, l’ANPE roumaine). «Dans le département, où le taux de chômage avoisine les 6%, il y a une pénurie de personnel dans certains secteurs. C'est le cas dans le textile, les salaires proposés ne sont pas assez attractifs... Lorsqu'un patron vient nous voir pour embaucher des couturières qualifiées, je peux lui proposer trois, quatre personnes. Mille, jamais.»

Sorin Niculescu se met en contact avec le ministère du Travail et l’Office des migrations. Pour chaque ouvrière, il doit obtenir un permis de travail d’un an et un permis de séjour. «Il y est bien précisé qu'elle travaille pour la Wear Company. Et nulle part ailleurs. Notre demande a surpris le ministère, qui n'a pas l'habitude de gérer des demandes collectives. On a dû tout défricher», explique Sorin Nicolescu. En parallèle, il recrute ces fameuses ouvrières chinoises qualifiées par l'intermédiaire d'une firme spécialisée, qui touche une importante commission. Il prend aussi en charge le voyage. «Un sacré investissement, mais un investissement nécessaire.»


250 euros par mois, le salaire de la discorde



En août 2006, les 92 premières ouvrières arrivent sur le sol roumain. Dans l'usine, tout semble avoir été prévu pour que la «greffe» prenne. Un dortoir est aménagé dans l'enceinte de l'usine, un cuisinier chinois recruté, un satellite installé pour capter la télévision chinoise, une salle de sport mise à disposition. Dans l'atelier, un traducteur -un Chinois installé depuis des années en Roumanie- est présent en permanence pour permettre la communication entre le personnel chinois et l'encadrement roumain. «Nous avons même mis en place des cours de roumain», sourit Ana Murariu, directrice de production. «Ce n'est pas de la philanthropie», affirme Sorin Nicolescu, «c'est de la pure logique économique. J'ai besoin de main d'oeuvre qualifiée, elles veulent gagner de l'argent pour l'envoyer au pays. Je veux juste leur offrir de bonnes conditions de vie afin qu'elles soient dans les meilleures dispositions pour travailler.» A terme, mille ouvrières devraient travailler pour la Wear Company, huit heures par jour, pour 250 euros mensuels.

Et ces petites mains venues de Chine, comment vivent-elles leur expatriation dans la grisaille moldave? En ce début janvier, Huang Hongxia et Wang Cai Hong, les deux ouvrières «choisies» pour venir témoigner, sont tout sourire et n'évoquent leur expérience qu'en termes positifs. «Nous venons du centre de la Chine. Un jour, le ministère du Travail a annoncé qu'une entreprise proposait du travail en Roumanie. Le salaire proposé était bien meilleur que ce qu'on peut gagner chez nous (250 euros à Bacau contre un salaire moyen de 80 euros en Chine, NDLR)», expliquent les deux jeunes femmes, âgées d'une vingtaine d'années. «Nous avons un contrat d'un an renouvelable. Peut-être resterons-nous plus longtemps...»

Des difficultés à s’installer dans un pays dont elles ne parlent pas la langue, à se retrouver plongées dans une culture profondément différente, elles ne diront rien. Si ce n'est que tout se passe bien. Qu'elles «n'ont pas eu peur de tenter l'expérience.» Qu'elles sont «déjà allées dans le centre de Bacau, que les gens sont gentils», récitent-elles, le sourire aux lèvres toujours, mais en se tordant nerveusement les mains.

«Personnellement, je n'ai jamais vu aucune de ces Chinoises dans les rues de Bacau», raconte Octavian Ticau. «Mais il y a un tel décalage culturel aussi… Leur arrivée a suscité beaucoup de curiosité. On a même entendu qu'elles étaient cloîtrées dans l'usine. Mais les journalistes ont pu visiter, les inspecteurs du travail ont réalisé des contrôles et tout se passe bien.»

« En Chine, tu trouves tous les employés dont tu as besoin »


Pourtant, deux semaines après notre visite, retournement complet de situation. Le 20 janvier, les ouvrières chinoises se mettent en grève et exigent d’être payées 600 euros mensuels. Inacceptable pour Sorin Nicolescu qui juge qu’elles sont «déjà payées plus du double» par rapport à une ouvrière roumaine. La situation s’envenime, et, selon Sorin Nicolescu, plusieurs dizaines des contestataires «l’attaquent dans son bureau à coups de fourchettes et de cuillères» dérobées à la cantine. «J’ai été agressé, je ne peux tolérer cela, et je compte renvoyer les protestataires dans leur pays.» Le conseil départemental de Bacau et l’ambassade de Chine de Bucarest interviennent. Des négociations sont entamées pour tenter de régler le conflit. Une partie des grévistes reprend le travail trois jours plus tard, certaines décident de repartir en Chine –finalement le patron acceptera de payer le billet retour.

Un nouveau contrat de travail leur est proposé. «Plusieurs points de l'ancien contrat ont été modifiés, les salaires vont notamment être augmentés (on évoque une hausse de 25 euros, NDLR). Celles qui signeront le nouveau contrat resteront, les autres repartiront en Chine», détaille Angela Bogea, vice-présidente du conseil départemental de Bacau. Le 5 février, une soixantaine d’ouvrières avaient repris la direction de la Chine, 130 avaient signé un nouveau contrat… «Si elles ne signent pas, elles repartiront. De toutes façons, je suis déjà en contact avec une autre société et, dès le 15 février, j'attends de nouvelles employées», conclut, imperturbable, Sorin Nicolescu.

En Roumanie, ce recours à la main d'oeuvre étrangère semble appelé à se développer. Maria Grapini, présidente de l'agence patronale de l'industrie textile, en est convaincue: «Les grands investissements ont besoin d’une main d’œuvre de qualité qui ne se trouve plus en Roumanie car les meilleurs spécialistes sont partis à l’étranger.» Malgré ses «mésaventures», Sorin Nicolescu compte bien persévérer. Non seulement il va poursuivre le recrutement pour la Wear Company, mais il veut même en faire un business. «Je viens de créer une firme spécialisée dans le recrutement de personnel qualifié à l'étranger, en Chine, en Inde, au Vietnam... Lorsque j'ai fait venir ces ouvrières, j'ai reçu beaucoup d'appels de dirigeants d'entreprises roumaines très intéressés par la démarche. Il y a un besoin de main d'oeuvre dans les chantiers navals, la construction, le bâtiment... En Chine, tu peux trouver tous les employés dont tu as besoin.» Preuve que ces nouvelles filières d'immigration économique ont de l'avenir, une entreprise de Timisoara a annoncé fin janvier qu'elle comptait recruter 2000 travailleurs chinois pour une société de Baia Mare, dans le nord-ouest du pays.

Paru dans le numéro 27 de la revue Regard

Sur les traces des Lipovènes


Il était une fois une communauté russe, obligée de fuir les persécutions religieuses du tsar Pierre le Grand. Après un long voyage, ces exilés s’installent en Roumanie, où les premières traces de leur présence remontent à 1724. Trois siècles plus tard, leurs descendants luttent pour perpétuer leur langue, leur religion et leur mode de vie, préservés malgré les années et leur intégration à la société roumaine. Direction le Delta du Danube, à Slava Cercheza, bastion de la communauté lipovène, où le temps semble s’être arrêté. Pour combien de temps ?

«Je suis Lipovène, je n’en ai jamais eu honte! Bien au contraire, je fais tout pour préserver ma culture, ma langue, nos traditions.» L’œil pétillant, la voix ferme, Irina Mihailov, 61 ans, revendique fièrement son identité. Comme elle, à Slava Cercheza, petit village au cœur des collines du département de Tulcea (est), 99% des 1500 habitants sont lipovènes, c’est-à-dire membres de la minorité russophone de Roumanie. Selon le recensement de 2002, près de 35000 d’entre eux vivent sur le sol roumain, principalement dans la région de Tulcea et en Moldavie (à 90% en milieu rural). La communauté représente la cinquième minorité du pays.

A première vue, Slava Cercheza est un village comme les autres, défilé de maisons proprettes devant lesquelles stationnent charrettes et vieilles Dacia. Erreur. Ici, impossible pour le visiteur de comprendre les conversations; dans les rues, on s’apostrophe en lipovène, dialecte archaïque issu du russe parlé au XVIIIe siècle (difficilement compréhensible y compris pour un russophone du XXIe siècle) et le «Dobrii den» remplace le «Buna ziua». Les maisons sont remplies d’icônes sur bois, les hommes portent une longue barbe (NDLR: qui permet de marquer leur ressemblance avec le Christ), la communauté vit au rythme des fêtes religieuses et du respect des valeurs traditionnelles comme le travail ou la famille. Venir à Slava Cercheza, c’est pénétrer dans un monde à part, né d’une histoire tragique.

Car les Lipovènes roumains sont les descendants des fameux Raskol'niki (schismatiques) russes. Suite à la réforme du dogme et de la liturgie orthodoxe russe au milieu du XVIIe siècle, ces «vieux croyants» refusèrent de transformer leur pratique religieuse et s’attirèrent les foudres du pouvoir, particulièrement du tsar Pierre le Grand. Pourchassés, emprisonnés, ils durent s’enfuir, d’abord vers l’Oural et la Sibérie, puis la Mer Noire. Ils posèrent leurs valises en Moldavie et dans la région du Delta du Danube au début du XVIIIe siècle, emportant avec eux leur religion, leur langue et leur culture. Rebaptisés «Lipovènes», un nom sans doute issu du mot «lipa» (le tilleul, un bois fréquemment utilisé par la communauté), ils s’établirent dans de petits villages retranchés, vivant de la pêche ou du travail du bois, respectant leurs stricts principes religieux et leur mode de vie conservateur, préservant leur russe archaïque. Une vie en vase clos.

« Nous ne sommes pas des tribus d’Amazonie »

Trois cents ans plus tard, leurs descendants n’ont rien perdu de ces traditions venues du passé. Au point de susciter l’intérêt de «sociologues, d’ethnologues ou même de psychiatres», s’amuse Irina Mihailov. Même la politique de «roumanisation» menée sous le régime de Nicolae Ceausescu n’a pas entamé ce particularisme. «Mais attention, nous ne sommes pas des tribus d’Amazonie. On peut être lipovène et avoir le téléphone ou se servir d’un ordinateur!» Simplement, à Slava Cercheza, comme au village voisin de Slava Rusa, qui abrite le monastère Uspenia (centre spirituel et siège de l’archevêché régional), vivre avec son temps ne signifie pas renoncer à cet héritage fondateur.

A l’église, véritable ciment de la communauté, le rite est inchangé. Hommes et femmes prient chacun de leur côté, le signe de croix se fait toujours avec deux doigts au lieu de trois, la messe est célébrée en russe et l’année religieuse se déroule selon le calendrier julien, décalé de 14 jours par rapport au calendrier «classique». «Rien ne s’est altéré», lance fièrement Irina Mihailov. «Nous vivons en terre roumaine mais nous sommes Lipovènes avant tout !»

La coexistence avec les Roumains se veut «pacifique et harmonieuse» pour reprendre l’expression d’Ivan Ignat, maire du village. Mais l’intégration reste superficielle et la préservation de «l’identité russe» fondamentale. «C’est notre origine. Nous sommes nés ici, nous vivons ici. On apprend le roumain mais notre langue, c’est le russe. J’ai vécu ailleurs, à Constanta, mon mari a même travaillé en Italie. Mais nous sommes revenus au village, pour nous, pour nos deux enfants. Nous sommes Lipovènes, il n’y a rien d’autre à dire!», s’exclame Irina Rusu, une jeune villageoise de 35 ans.

Depuis 1990, une association, la Communauté russo-lipovène de Roumanie (CRLR), se bat pour perpétuer et mieux faire connaître la culture de la minorité. «Nous éditons des livres sur la communauté, sur notre mode de vie; il existe également deux mensuels bilingues (roumain et russe), Kitej-Grad, un culturel édité à Iasi, et Zorile, qui présente l’actualité et les actions de la communauté», explique Svetlana Moldovan, rédactrice en chef de Zorile, dont la rédaction est située au siège bucarestois de la CRLR. Comme toutes les minorités de Roumanie, les Lipovènes disposent d’un représentant à la Chambre des députés. Et militent activement pour la défense de leur identité. «Dans notre religion, le prêtre est choisi par le peuple; jusqu’à présent, il n’existait pas de formation théologique spécifique. Nous avons obtenu la création d’un lycée qui dispense une formation de ce genre pour les futurs prêtres», détaille Svetlana Moldovan. Idem pour la langue russe, autre liant de la communauté. Elle est enseignée comme langue maternelle là où la communauté est représentée. «Que les jeunes puissent apprendre la langue est la vraie priorité, c’est vital pour notre avenir», insiste Ivan Ignat. «La communauté fait du lobbying en ce sens. Et depuis cette année, des cours de russe -une heure par semaine- ont été mis en place dans certaines écoles maternelles.»

C’est le cas à Slava Cercheza. Dans la classe unique de l’école maternelle, une vingtaine d’enfants sont en pleine activité coloriage. Irina Mihailov, l’institutrice (qui est aussi la responsable locale de la CRLR), leur parle en roumain. Mais glisse parfois quelques mots de russe au fil de la conversation. «C’est notre force. Nous sommes parfaitement intégrés, parlons roumain, mais préservons notre langue.»

Un avenir incertain

Farouchement attachée à son identité et à sa culture, Irina est une pasionaria de la cause lipovène. Quant elle ne sillonne pas les routes avec l’ensemble folklorique local, elle rédige une monographie sur la vie du village. Dans l’entrée de l’école, elle a même constitué un petit musée où s’étalent tenues traditionnelles, objets religieux ou du quotidien. La voix haute, le geste enflammé, elle se lance dans un plaidoyer pro domo: «La nourriture, les fêtes de mariage, les chants, les vêtements, la longue barbe pour les hommes, tout cela est spécifiquement lipovène. Il faut le préserver à tout prix! Pendant longtemps, nous nous sommes contentés de vivre nos traditions, sans chercher à les expliquer ou à les répertorier. Moi, j’ai à cœur de laisser une trace pour que le village ait enfin un lieu d’expression de son identité. »
Un travail d’autant plus important que ce fameux mode de vie semble menacé et que l’avenir s’annonce nuageux, malgré le dynamisme de la communauté. Fini le temps où les villages lipovènes vivaient «coupés du monde», repliés sur eux-mêmes, révolue l’époque où les mariages «mixtes» étaient interdits et où les jeunes reproduisaient naturellement le mode de vie de leurs parents. «Maintenant, les jeunes se marient avec des Roumains, des Grecs, des Espagnols…Et il y a un gros problème de natalité, présent dans tout le pays mais qui touche plus largement encore la communauté», s’inquiète Irina Mihailov. «Surtout, les jeunes partent; ils ne trouvent pas de travail ici. Alors ils s’installent en Espagne, en Italie, dans les grandes villes», déplore Ivan Ignat. «Rien que dans le village, une trentaine de familles sont parties. Ailleurs, ils oublient un peu les traditions, religieuses notamment. J’espère vraiment qu’avec l’entrée dans l’Union européenne, la région va suffisamment se développer pour permettre à ces jeunes de revenir.»
Dans la communauté, certains craignent que cet étiolement des traditions soit le signe annonciateur d’un déclin inexorable. Irina Mihailov soupire. «Une fois, en 1966, un homme est venu ici et m’a demandé quand on allait disparaître. Je me souviens lui avoir dit qu’on ne disparaîtrait jamais. Je ne sais pas si je lui donnerais la même réponse aujourd’hui...»

Paru dans le numéro 26 de la revue Regard

Mon cottage en Transylvanie


Peuple migrateur, les Britanniques quittent en masse leur île natale pour des latitudes plus clémentes et moins chères, loin des prix exorbitants de l'immobilier anglais. Dans le centre de la Roumanie, au coeur du pays saxon, une poignée de pionniers a choisi de poser ses valises et participe activement à la restauration du patrimoine et au développement local. Depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, l'intérêt pour la région ne fait que croître. Après la Dordogne, l'Espagne ou l'Italie, la Transylvanie va-t-elle devenir dans les prochaines années le nouvel eldorado des sujets de sa gracieuse Majesté ?

Sans cette panne de voiture, Lucy Abel Smith n'aurait jamais trouvé son «coin de paradis». Il y a cinq ans, cette Britannique de 57 ans, historienne de l'art et amoureuse de la Roumanie qu'elle connaît depuis les années 1970, tombe en rade sur une route perdue de Transylvanie. Elle cherche un téléphone, débarque par hasard dans le village de Richis. Elle y trouve finalement une maison. Nichée au coeur des collines verdoyantes, avec vue imprenable sur les troupeaux de moutons et la ronde des charrettes. Bien loin de l’atmosphère urbaine de Gloucester... Elle rachète cette bâtisse saxonne traditionnelle pour 6000 euros et la rénove en respectant matériaux et techniques traditionnels.

Depuis, elle avoue y venir «dès que je peux, six ou sept fois par an, quand mon métier m'en laisse le temps. J'ai voyagé beaucoup, partout, mais il n'y a qu'ici que je ressente une telle sensation de paix. La vie correspond aux traditions et à la culture anglaise -ce goût des paysages, de la nature, de la paix. Cette paix, nous l'avons perdue en Grande-Bretagne, alors nous partons la chercher ailleurs...» Lucy n'est pas un cas isolé: un nombre croissant de Britanniques se prennent de passion pour la campagne transylvaine et choisissent d'y poser leurs valises.

Le phénomène est encore loin d'atteindre les proportions de la Dordogne ou de la Bretagne, investies par les Britanniques, mais l'attraction et la fascination qu'exerce la Transylvanie sont bien réelles. La preuve: des catalogues d’agences immobilières proposent désormais des biens en Transylvanie et les prix grimpent.

« J'aime vivre ici, j'aime les gens, la langue, la culture »

Sur la terrasse de son restaurant, à deux pas de l’église du village saxon de Saschiz (à une dizaine de kilomètres de Sighisoara), Sorin Stoichitescu fume sa cigarette en souriant. Il y a deux mois, il a vendu sa maison à un Irlandais, tombé amoureux de la région. «Il est venu boire un café ici, il cherchait une maison. II a acheté la notre, 30 000 euros. Il veut s’y installer quand il sera à la retraite. Il est aussi en train de racheter le manoir du hameau voisin pour ouvrir des chambres d’hôtes.»

Car ces anglophones qui optent pour la Transylvanie le font par passion pour la région, sa culture, ses paysages enchanteurs. Et s'impliquent fortement dans la préservation et la restauration du patrimoine régional. A Saschiz, classé au patrimoine mondial de l'Unesco, deux Anglais, Nat Page et Jim Turnbull, ont monté une fondation baptisée Adept, engagée dans un vaste projet de développement local via l'agro-tourisme et l'agriculture biologique. Ils viennent de racheter une maison saxonne au coeur du village. Marteaux, scies, planches de bois qui jonchent le sol... le bâtiment est un véritable chantier. Une fois retapée, la maison abritera le siège de l'association, des produits agricoles et artisanaux locaux y seront vendus, une cuisine aux normes européennes construite et mise à la disposition des habitants, des formations sur l'agro-tourisme y seront proposées. Avec pour seul objectif de faire revivre le village, de former la population et d'aider au développement économique local pour éviter la fuite vers les villes. Idem à Viscri (lire ci-dessous), où la Fondation Mihai Eminescu Trust a permis la rénovation d’une centaine de maisons.

Sur une place ombragée de la citadelle de Sighisoara, une partie de l'équipe d'Adept s'offre une pause café après un cours de formation. Parmi eux, Gavin Bell et Colin Shaw, tous deux installés à Brasov. Deux itinéraires différents mais une même passion pour ce coin d’Europe chargé de légendes. Gavin, 41 ans, a débarqué en 2002, avec une bourse d'études, pour trois semaines. «J'ai aimé ce pays au premier contact», se souvient-il. «J'y suis revenu, j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme et je me suis décidé à venir vivre ici. A cause de mon travail, je ne vis ici que six mois par an, mais ça ne tiendrait qu'à moi, je serais là en permanence. Pourquoi? Déjà, c'est une région unique, qui concentre un patrimoine naturel et historique unique en Europe. Mon futur, je le vois ici, nulle part ailleurs.» Outre sa collaboration active avec Adept, ce quadragénaire gouailleur a lancé son propre «business». Motard pur sucre, il propose des tours de Roumanie en moto aux fans british de grosses cylindrées.

A ses côtés, Colin, 50 ans, discret et pondéré, raconte fièrement ses «presque 13 ans» de Roumanie. En 1994, il atterrit à Bucarest comme assistant social dans un centre pour enfants handicapés. Il ne quittera plus le pays. Après des années passées à Harja (département de Bacau) dans une maison pour enfants abandonnés, il choisit Brasov pour lancer son agence de tourisme, Roving Romania. Le concept: des tours personnalisés du pays en Land-Rover. «J'avais ce rêve depuis longtemps. J'aime vivre ici, j'aime les gens, la langue, la culture. Et le fait que chaque jour te provoque. Tu n’es pas enfermé dans une routine engourdissante comme en Angleterre.» Pas supplémentaire vers l'installation définitive, Colin vient de vendre sa maison en Angleterre et cherche à en acheter une dans un village «reculé» près de Brasov.
Passionnés, engagés, impliqués: l'arrivée de ces « pionniers » britanniques fait souffler un vent de renouveau dans les villages de la région, et a souvent permis d'amorcer un véritable mouvement de renaissance. «C'est une bonne chose qu'ils achètent des maisons, s'impliquent», confirme Anca, une jeune villageoise de Saschiz. «Ils nous aident à prendre conscience de la valeur de notre patrimoine. Mais il ne faut pas que la région devienne un aimant à étrangers qui rachètent des maisons pour venir y passer deux semaines par an. Déjà, les prix ont augmenté; il ne faut pas que les locaux ne puissent plus acheter ou préfèrent vendre pour faire une bonne opération financière.»

Pas de risque majeur pour l'instant, à en croire ces Transylvains adoptifs de la première heure. «La Roumanie est certes considérée comme LE pays où il faut investir, son image s'est largement améliorée en Angleterre. Mais ce n'est pas encore la Provence. Et je pense que les investisseurs se dirigent plus vers les villes», estime Gavin Bell. Même constat pour Lucy Abel Smith. «Il est encore difficile pour un étranger d'acheter une maison en Roumanie, c'est aussi assez loin de l'Angleterre, moins connu. Nous sommes tranquilles pour encore quelques années!»

Marion Guyonvarch

Le «village du Prince Charles»

C’est un paradis perdu au cœur des collines transylvaines, sorti de sa torpeur grâce à l’acharnement d’une femme et le soutien d’une fondation anglaise. Viscri, 400 habitants, est désormais connu sous le nom de «village du Prince Charles». L’héritier de la couronne britannique est venu ici à trois reprises et lors de sa dernière visite, une maison lui a été offerte. Le lien entre le Prince de Galles et Viscri? La fondation britannique Mihai Eminescu Trust, dont il est le parrain, finance de nombreux projets dans la région depuis 1999. L’histoire de cette coopération anglo-roumaine débute en 1994. A l’époque, Viscri se meurt; les Saxons ont quitté le village en masse après la révolution pour tenter leur chance en Allemagne. Caroline Fernolend, l’une des habitantes, est déterminée à sauver les traditions et l’âme de son village. Quand Jessica Page, directrice de la Fondation, passe à Viscri, Caroline sollicite son aide. Cinq ans plus tard, le projet voit le jour grâce à des sponsors britanniques privés. «Nous restaurons des maisons (105 pour le moment à Viscri, NDLR) selon les méthodes traditionnelles, dans 17 villages de la région. Nous assurons aussi des formations aux métiers traditionnels pour offrir du travail et une qualification aux habitants. Nous proposons aussi des formations en tourisme, avons poussé les gens à monter des pensions. Le but, c'est vraiment de revitaliser le village tout en préservant notre culture, nos traditions et notre authenticité», explique, enthousiaste et déterminée, Caroline Fernolend.

En vacances chez Dracula

A Miclosoara (Miklosvar), à cinquante kilomètres de Brasov, la maison d'hôtes du Comte Kalnoky est une belle demeure rénovée dans le respect des traditions. Ici, on accueille essentiellement des touristes anglais et anglo-saxons, toujours plus nombreux. Articles élogieux vantant les charmes du pays de Dracula, multiplication des agences de voyages: outre-Manche, les vacances made in Romania ont la cote. Et la Transylvanie, avec sa nature sauvage et son riche patrimoine, constitue une destination très appréciée. «J'ai lu un article dans la presse, c'est ce qui m'a donné l'envie de venir», explique Leslie, la quarantaine, venue avec mari et enfants. «C'est un mélange idéal de nature et d'histoire. On ne connaît rien de la Roumanie, on n'a que quelques clichés en tête. Et quand on arrive ici, on tombe immédiatement sous le charme!» Près de 60000 Britanniques ont visité la Roumanie en 2005. On en attend un quart de plus en 2007.

Paru dans le numéro 29 de la revue Regard

Passion «gratar»


C’est presque un sport national. La règle du jeu est simple: les beaux jours venus, s’équiper d’un barbecue, de «mici» (lire encadré) et de quelques bières, prendre la voiture et gagner un coin de verdure pour s’offrir un «gratar» (barbecue) en pleine nature. Chaque week-end, la campagne roumaine est ainsi prise d’assaut par les «grataristi». Phénomène autant que rituel social, le «gratar» en dit bien plus long qu’on ne croit sur la société roumaine.

Dimanche, 13h, parc de Snagov, à une trentaine de kilomètres de Bucarest. Une odeur de «mici» flotte dans l’air. Luiza, Marinela, Roxana, Aurel, Vasile et une dizaine de leurs amis viennent d’arriver sur le parking, déjà bien garni de voitures, et déballent du coffre leur «nécessaire à gratar». Qui se révèle un équipement de compétition. A coté de l’indispensable barbecue, deux tables en plastique, des chaises et des transats, deux cylindres remplis de bouteilles de bière, une vingtaine de kilos de viande, des fruits et des légumes par dizaines… «Aujourd’hui, c’est un peu spécial», sourit Veronika, en short et haut de maillot de bain. «On fête l’anniversaire d’un ami. Mais, de toute façon, on fait des ‘gratar’ chaque dimanche, toujours ici. On a nos habitudes. C’est l’occasion de bien manger, de prendre l’air et de se retrouver en famille. Moi, je ne peux pas imaginer passer un dimanche à la maison…»

Veronika est loin d’être un cas isolé: le «gratarist» est une espèce très répandue en Roumanie. Chaque dimanche, les citadins fuient les villes et transhument. La voiture est garée sur l’herbe, les «manele» (chansons populaires entre rap et folklore tzigane) assurent l’ambiance sonore, le campement installé à deux mètres de la voiture et les «mici» grillent toute l’après-midi, entre une sieste et un match de football. Partout dans le pays, les barbecues s’étalent en enfilade, dans les champs ou le long des routes, et d’épais filets de fumée s’élèvent vers le ciel. Snagov ne fait pas exception à la règle. Sur cette base de loisirs, avec piscine, terrain de tennis et buvette, chaque coin de pelouse est investi par une famille. On est loin du «gratar» sauvage de campagne mais le rituel est identique et immuable.

Les hommes tombent la chemise et prennent en charge la cuisson des «mici», une bière à la main, pendant que les femmes préparent les légumes et les salades. Les enfants jouent au foot, au badminton… Autour du grill, c’est du sérieux. Car pour réussir une journée «gratar», mieux vaut ne pas rater ses «mici», l’ingrédient indispensable. Ilie, chef des opérations, livre son secret. «Il faut bien préparer son feu, éventer régulièrement pour ne pas qu’il y ait trop de fumée», explique-t-il en agitant un carton devant son grill. «Et pour donner un peu de goût, on peut frotter un oignon sur la grille. Reste ensuite à bien surveiller.» Puis à savourer…*


Après eux, les déchets


«C’est vrai que c’est une véritable tradition ici, je n’ai pas observé ce phénomène dans d’autres pays de la région», explique Mircea Kivu, sociologue. «Déjà, avant 1989,c’était une pratique courante. Les voitures et l’essence étaient rares, donc on restait plutôt à proximité des villes. Maintenant, dès qu’il y a un ruisseau et un champ, on trouve un ‘gratar’! Le phénomène touche principalement les classes populaires, qui combinent ‘gratar’ et musique folklorique et de ‘manele’. Même dans les couches plus riches de la population, on retrouve cet engouement. Sauf qu’au lieu d’aller à la campagne, on s’installe dans le jardin et on mange des plats plus variés que le classique mici/bière.» Preuve de l’ampleur nationale du phénomène, même les magazines féminins se fendent d’articles sur le «gratar» (en version diététique, véridique) à l’approche de l’été… Et sur Internet, les résultats pour une recherche sur le «gratar» ou les «mici» se comptent en centaines de milliers!
Certes, le concept du barbecue en pleine nature est plutôt tentant. Mais de là à s’imposer comme une institution et un véritable phénomène national…

Pour Mircea Kivu, si la pratique du «gratar» rencontre un tel succès, c’est parce qu’il est une combinaison parfaite de sociabilité, de gastronomie et de nature. «La plupart des citadins d’aujourd’hui sont originaires de la campagne. Il y a une forte nostalgie de la vie rurale, un besoin d’être au contact de la nature. Ils se sentent contraints en ville et veulent s’évader. Le ‘gratar’ est le moyen le plus simple et le moins cher de passer une journée au vert. Ils prennent la voiture, font une demi-heure ou une heure de route et ils ont l’impression d’être à la campagne», explique le sociologue. «En Roumanie, la fête est toujours synonyme de repas, de nourriture… Faire un ‘gratar’, c’est synonyme de fête. Surtout qu’il ne faut pas oublier que le pouvoir d’achat reste faible et que ce n’est donc pas dans les habitudes de sortir en famille ou entre amis au restaurant. Le gratar est une version économique du restaurant, guidé par le même besoin de convivialité et de socialisation.»

Paula, la trentaine, prend le soleil pendant que Marian, son mari, s’occupe des « mici ». Elle confirme: «Nous habitons à Ploiesti, dans un bloc. Pour les enfants, ce n’est pas l’idéal. Alors dès que nous pouvons, on part à la campagne, nous on se repose, on discute, et eux peuvent prendre l’air», explique la jeune maman. Deux «gratari» plus loin, dans le clan de Veronika et Ilie, le grill tourne à plein régime, le stock de bières fond comme neige au soleil, la musique se joint aux rires. «C’est vraiment la respiration de la semaine», soupire Aura. On a besoin de s’évader de Bucarest. Moi, je suis tzigane, je viens d’un peuple nomade… J’ai besoin de ces moments de détente en pleine nature.»

La nature justement. S’ils aiment son contact, les «grataristi» oublient hélas souvent de la respecter. Chaque dimanche, lorsqu’ils repartent vers la ville, ils laissent derrière eux des kilos de déchets. Bouteilles de plastique, papiers d’emballage, canettes de bières… les coins de paradis prennent des allures de déchetterie à ciel ouvert. Lorsqu’on demande aux inconditionnels du «gratar» pourquoi ils ne ramassent pas leurs détritus, la question les laisse sans voix. «C’est plus simple de tout laisser, je n’ai jamais pensé à récupérer tout ça pour le jeter chez moi», lance Marian, sans sourciller. «La notion de respect de la nature n’existe pas», analyse Mircea Kivu. «En Roumanie, les gens élevés sous le communisme ont une appréhension précaire de l’avenir, on le voit dans la vie de tous les jours, avec le faible taux d’assurance médicale ou automobile. Du coup, ils ne pensent même pas que l’endroit où ils font le ‘gratar’ pourra servir plus tard. Autre conséquence du communisme, les Roumains n’ont plus la notion de collectivité. Mais, avec le temps, les mentalités vont évoluer.»

En attendant que les «grataristi» du futur concilient barbecue et respect de l’environnement, ceux d’aujourd’hui plient bagage, alors que le jour décline sur Snagov. On arrose le barbecue à grandes eaux, on remballe les «restes», on regagne la voiture, l’équipement sous le bras. Jusqu’au prochain dimanche où, une nouvelle fois, les Roumains des villes prendront la direction des champs pour assouvir leur fumante passion.

Marion Guyonvarch

Aux origines des «mici»

Ils sont stars du «gratar». Qu’on les appelle «mici» ou «mititei», ces saucisses à base de viande de porc et de mouton, agrémentées d’épices, sont les ingrédients incontournables d’un barbecue réussi. Selon un sondage réalisé sur Internet, la petite saucisse est même plus populaire que les légendaires «sarmale» (feuilles de choux farcies). Elle est classiquement servie sur une barquette de carton, plantée d’un cure-dent, avec du pain et de la «mustar», une sorte de moutarde très sucrée en accompagnement. Dans une version plus élaborée, on la sert dans une assiette, avec des frites. Mais presque toujours arrosée de bière. On peut aussi la cuisiner chez soi, à partir de préparations toutes faites ou de recettes maisons… Restaurants, marchés, ou acasa, le «mic» est partout. Mais d’où vient-il? La «légende» raconte qu’il a été inventé un soir, dans l’auberge La Iordachi de Bucarest. Réputée pour ses saucisses, elle n’avait plus d’ingrédients et dut improviser… Ce qui est certain, c’est que le «mic» (au singulier, «mici» au pluriel) est clairement d’inspiration turque. La longue occupation ottomane sur le sol roumain a laissé des traces dans la gastronomie et développé le goût pour les préparations de viandes épicées. Comme tous les classiques de la cuisine, le «mic» a ses maîtres. A Bucarest, le roi en la matière est Mircea Macelaru. Son restaurant est, avec le célèbre Cocosatu de Baneasa (qui propose même un service de livraison à domicile), en compétition pour décrocher le titre tant convoité de «meilleur restaurant de ‘mici’ de Bucarest». La clé de ce succès? Une «recette secrète qu’il est le seul à connaître», explique Silviu, l’un des cuisiniers d’un établissement qui provoque régulièrement des embouteillages sur la rue Campeanu, à deux pas de la Place du 1er Mai. Sans oublier une attention de chaque instant lors de la cuisson pour que le «mic» soit parfait.



Paru dans le numéro 31 de la revue Regard

Delta en danger


5380 espèces de faune et de flore, 547.000 hectares, une biodiversité unique au monde, voilà la carte d’identité du Delta du Danube. Mais ce véritable trésor écologique est aussi une zone habitée et touristique, où pélicans et cormorans cohabitent avec cargos et pêcheurs. Sa nécessaire préservation se heurte à des intérêts économiques et humains et sa gestion s'apparente à un difficile exercice de jonglage. Reportage au fil de l’eau pour dresser un état des lieux de la situation et cerner les menaces qui pèsent sur ce lieu d’exception.

Prendre le bateau pour Sulina, dernière ville avant que le Danube ne se jette dans la Mer Noire, c’est pénétrer dans l’une des réserves écologiques les plus extraordinaires d’Europe. Ici, près de 5500 espèces de faune et de flore sont répertoriées, dont 330 espèces différentes d’oiseaux et 135 de poissons. Lacs, mangroves, esturgeons, cormorans, nénuphars, forêt tropicale la plus septentrionale du monde... La richesse écologique est telle que la zone a été intégralement classée «réserve de la biosphère» en 1990 et inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco en 1991.

Au fil de l’eau, la navette file à petite allure et le trajet prend des allures de balade bucolique. Sur la rive gauche, une colonie de pélicans s’envole à l’approche d’un bateau. A droite, roseaux sauvages et saules pleureurs émergent des eaux. Soudain, l’œil s’arrête, repère une anomalie dans ce paysage idéal. Une bouteille en plastique flotte à la surface, à quelques encablures d’une dizaine de cygnes qui avancent en rangs d’oignon. Une centaine de mètres plus loin, sur une rive déserte, un chantier est en cours et une construction ultramoderne sort de terre. Cet été, l’ONG bucarestoise «Salvati Delta» (Sauvez le Delta) a organisé une campagne de nettoyage dans la région. Résultat: des kilos et des kilos de déchets, bouteilles plastiques, morceaux de métaux… Au royaume de la biodiversité, le respect de l’environnement n’est pas forcément la règle.

A Sulina, petit port de 5000 habitants, Nicolae Raducu voit l'avenir en «gris». Depuis 1992, il préside la fondation des amis du Delta du Danube. «Je suis inquiet, vraiment. Le seul point positif, c'est l'amélioration de la qualité de l'eau et la réduction de la pollution des bateaux. Mais pour le reste... Entre les touristes, les embarcations, les déchets, le canal de Bystroe (lire encadré) et le bétonnage des côtes, les menaces sont nombreuses. Une nouvelle clientèle de touristes a fait son apparition, des gens aisés qui se baladent avec des embarcations rapides à travers les canaux secondaires et les lacs, ce qui a un impact sur la qualité de l’eau et la faune; certains survolent la zone avec des hélicoptères qui, eux aussi, effraient les oiseaux. On n’observe plus de vols de pélicans au-dessus de la ville et, à en croire les pêcheurs, la population de poissons est moins nombreuse qu’avant.»

« Il ne faut plus laisser faire n’importe quoi »

Tel est le noeud du «problème»: si la protection de la biodiversité est affichée comme LA priorité, le développement du tourisme et la présence de 15000 habitants au cœur du Delta -des hommes qui vivent, travaillent, pêchent, produisent des déchets, etc.- sont autant d’éléments qui compliquent l’équation vu leur impact sur l’environnement. «La qualité de l’eau se dégrade car il n’existe pas assez de stations d’épuration», déplore ainsi Romulus Stiuca, directeur à Tulcea de l'Institut de recherche du Delta du Danube, organisme placé sous l'égide du ministère de l'Environnement. «C’est sûr que si le Delta n’était pas habité, ce serait bien plus facile; il y a tant d'intérêts divergents que la gestion est souvent acrobatique», concède Paul Cononov, gouverneur de l’Administration de la réserve Biosphère du Delta du Danube (ARBDD, placée sous l’autorité du ministère de l’Environnement). Il affirme pourtant que «l'état de la biosphère s'améliore. D’après les études réalisées par l'Institut de recherche du Delta, les colonies de poissons ou de pélicans également. Le Delta va bien, va mieux. Même s’il faut poursuivre et améliorer notre action de préservation.»

Depuis sa création en 1994, l'ARBDD et ses 140 agents ont pour mission d'administrer l'ensemble du Delta roumain: attributions des permis de construire, réglementations d'urbanisme, contrôle de la pêche ou de la chasse, applications de programme de sauvegarde de la faune et de la flore... La tâche du «gendarme du Delta» est titanesque pour des moyens relativement limités.

En cette fin d'été, après trois mois de canicule, l'Administration est en état d'urgence et s'occupe de nettoyer les canaux asséchés par la canicule. «Nous subissons les aléas du climat. L'an dernier, nous avions eu des inondations... Nous tentons de limiter les conséquences négatives», explique Paul Cononov. Parer aux urgences donc, mais surtout veiller à la préservation de l'écosystème du Delta, le troisième au monde en termes de richesse écologique, et réparer les erreurs du passé. Principal chantier: la «reconstruction écologique». Sous Ceausescu, près de 80000 hectares avaient été détruits pour être transformés en terres agricoles. «Ces travaux, réalisés dans des aires aujourd'hui protégées, ont détruit les zones de reproduction de certains poissons, les zones de nidation et les sources d'alimentation de certaines espèces qui ont depuis disparu de ces zones», détaille Romulus Stiuca. Un vaste programme de réhabilitation a donc été lancé. Pour l’heure, seuls 15000 hectares ont été concernés. C’est trop peu, et les associations écologistes dénoncent un manque de volonté et de résultats, critiquent les belles paroles qui restent lettres mortes. «Le principal obstacle est le manque de coopération des concessionnaires de ces terrains, qui craignent pour leurs activités économiques; c'est le cas de beaucoup de propriétaires de fermes piscicoles par exemple», poursuit Paul Cononov. L'ARBDD a également lancé des programmes de sauvegarde de la faune et de la flore, comme «Sauvons les Pélicans», une opération menée en partenariat avec BirdLife et la société ornithologique de Roumanie. 400 pélicans frisés -un dixième de la population mondiale- nichent dans le Delta. Leur protection est nécessaire à la survie de l'espèce.

Mais le plus compliqué reste la gestion de l’impact des activités humaines sur l’environnement. La preuve avec la réglementation de la pêche. Depuis 2005 par exemple, suite à un lobbying d'ONG écologistes et des études montrant une baisse inquiétante de leur nombre, les prises d'esturgeons sont interdites pour une durée de dix ans. Une décision qui a déclenché l’ire des habitants du Delta, pour qui la pêche est une pratique séculaire. «Comment fait-on pour gagner notre vie si on ne peut plus pêcher?», interroge Ion, assis dans sa barque amarrée au port de Sulina. Du coup, le braconnage et la vente au marché noir sont devenus monnaie courante.
Autre «menace» qui plane sur le Delta, les constructions touristiques. Les investissements sont de plus en plus importants, à l’image du nombre de visiteurs, et les périls plus visibles. Le camping sauvage est ainsi une pratique courante.

Mais les vacances finies, les campeurs laissent souvent derrière eux des kilos de déchets. «Le tourisme est une chance pour le Delta mais il faut l’encadrer, ne pas autoriser de constructions n'importe où, mettre en place des règles de navigation et un système de gestion des déchets efficace. Il ne faut plus laisser faire n'importe quoi, comme cela fut souvent le cas jusqu'à présent», énumère Nicolae Raducu. «Des règles existent déjà, se défend Paul Cononov, et nous rejetons les projets qui pourraient endommager l’écosystème. Un complexe touristique ne peut pas être construit s'il ne possède pas une station d'épuration propre et un système de collecte des déchets. On sait qu'un nombre élevé de touristes peut affecter l'écosystème. Le tourisme va se développer. On y prépare la région.» Une nécessité impérieuse, surtout lorsqu’on sait qu’un simple sac plastique peut provoquer l’étouffement d’un oiseau. Face au «bétonnage» des côtes, la réaction est déjà effective. Interdit de bâtir en dehors du territoire des communes et surtout, grande première en Roumanie, un code d'urbanisme va être publié et imposer le respect de couleurs et de standards de construction afin de préserver l'harmonie des paysages.
En théorie, l’arsenal législatif est là. Reste à le faire appliquer et à se doter de moyens à la hauteur de ce paradis fragile dont l’équilibre peut être rompu à tout moment. Sur le port de Sulina, Nicolae Raducu regarde les eaux troubles du Danube, l’air grave. «Ce Delta, c’est une richesse, pas seulement pour la Roumanie, mais pour le monde. C’est notre devoir de la préserver.»

Paru dans le numéro 31 de la revue Regard

L'eldorado des escargots

La Roumanie, nouveau paradis des escargots? Difficile à croire. Depuis quelques années pourtant, les élevages d’exportation se multiplient. Reportage à Teliu, à une trentaine de kilomètres de Brasov, où une coopérative regroupant 250 producteurs croît… à grande vitesse.

A première vue, une banale parcelle de terre herbeuse, divisée en enclos. Mais mieux vaut ouvrir l'oeil. Car soudain, Marcel Macris, le propriétaire des lieux, se penche et ramasse un escargot, puis deux, trois… Ici, sur un hectare, près de 2,7 millions de gastéropodes grandissent tranquillement, en attendant d’être exportés vers l’Europe de l’Ouest ou l'Amérique du Nord, où ils seront dégustés par les nombreux amateurs. Des Bourgogne principalement, «les plus recherchés».

A Teliu, comme dans de nombreux coins de Roumanie, «la folie des escargots» s’est emparée du village. Il abrite aujourd'hui une dizaine d'exploitations. «Depuis 2003-2004, la collecte d’escargots en pleine nature est interdite dans les pays comme la France ou l’Italie. Du coup, les grands producteurs se sont tournés vers l’Europe de l’Est, et de nombreuses fermes ont émergé pour répondre à la demande», explique Marcel Macris. On compte aujourd'hui plus de 400 exploitations en Roumanie. «L’idée s’est développée que l’élevage d’escargots était un moyen facile de gagner beaucoup d’argent, déplore-t-il. Alors que c’est tout sauf aisé. Cela demande du temps, de l’investissement et de la patience.»

« Avant les années 50, la Roumanie était un producteur important »

Ancien architecte et restaurateur, revenu vivre au pays après 30 ans aux Etats-Unis, ce quinquagénaire dynamique s'est lancé dans l'aventure en 2004. Il disserte avec passion sur les mérites comparés de l'escargot de bourgogne (l'essentiel de sa production), du «gros gris» (qu'il introduit dans son exploitation) ou du turc. Raconte les us et coutumes de «cet animal intelligent», capable de «résister à des températures de moins cent degrés en état d'hibernation» et qui, passé dix heures du matin, rechigne à sortir de sa coquille. Explique les secrets du métier, le sol qui doit rester humide, le diamètre qui doit être compris entre 28 et 34 millimètres, l'herbe qu'il faut couper chaque jour pour que les hermaphrodites se sentent bien…

Loin de céder au mirage de l'enrichissement rapide, il a entrepris avec une poignée d'autres producteurs de mettre sur pied une véritable filière de production. En octobre 2005, ils fondent EscarProd, une coopérative agricole, un statut pour le moins original dans le paysage économique roumain (chaque membre achète des actions et bénéficie d'une voix au sein du Conseil d'administration). «Il existe peu de coopératives en Roumanie, nous sommes la deuxième et la seule qui fonctionne vraiment efficacement», avance Marcel, président du C.A. de la structure qui compte désormais 250 membres répartis dans 28 départements. «Nous avons réussi à collecter un capital social de 600.000 euros, souscrit des emprunts et commencé la construction d'une usine de deux millions d'euros», raconte-t-il tout en assurant la visite guidée de la future unité, qui ouvrira ses portes cet automne. Cuves pour ébouillanter les escargots, chaînes de production, sas d'hygiène, chambres frigorifiques, tout est ultramoderne et conforme aux standards européens les plus rigoureux.

Car EscarProd a choisi de penser sur le long terme et s'est positionnée d'emblée sur le secteur du «bio». «C'est la tendance, sourit Marcel. Pas question de gaver les escargots et de les mettre en vente au bout d'un an; ici, ils sont nourris avec des plantes, de la farine de maïs, des courgettes et ne sont mis sur le marché qu'après trois ans. Les premiers vont donc sortir bientôt. Nous avons obtenu la certification Eco-Cert, l'une des plus réputées. Nous allons proposer une gamme variée de produits, des escargots congelés bien sûr, mais aussi des terrines, de la soupe ou des saucisses...» Objectif, produire 5000 tonnes chaque année. Une production que la coopérative ne devrait avoir aucun mal à écouler tant la demande est forte. Des contacts avec des clients allemands, suisses et français ont été noués. EscarProd lorgne vers les Etats-Unis et le Canada, où la chair des gastéropodes est également très appréciée. «Ce n’est qu’un retour aux sources, conclut Marcel Macris. Avant les années 50, la Roumanie était un producteur important. En 1968, quand j’ai quitté le pays, je suis arrivé à Paris, gare de Lyon. Sur le quai, il y avait des caisses et des caisses d’escargots venus de Roumanie. De nombreuses recettes ont d’ailleurs des dénominations roumaines, ‘à la bucarestoise’, ‘de Moldavie’... La tradition s’était perdue, mais l’erreur est en passe d’être réparée.»

Paru dans le numéro 32 de Regard

Silence, on tourne (beaucoup)

Depuis la chute du communisme, l’Europe de l’Est s’affirme comme le lieu de tournage privilégié des productions continentales et américaines. Avec deux studios d’envergure, Mediapro Pictures et Castel Films, la Roumanie attire de plus en plus: «Cold Mountain», «Modigliani», «L’homme sans âge» ou «Capitaine Conan» ont par exemple été tournés sur place ces dernières années. Reportage à Buftea, dans les studios Mediapro, nés sous le communisme, pour découvrir l’envers du décor.

Franchir la porte d’entrée des studios de Buftea, c’est passer de l’autre coté d’un écran de cinéma. On traverse une rue française tout droit sortie du XVIIIe siècle, on croise une villa cossue, on aperçoit au loin un camp tsigane et un village médiéval. Signe particulier: les façades sont soutenues par de lourds échafaudages, les murs sont en polystyrène, les portes ne mènent qu’à un grand vide. Dans le bâtiment administratif, l’escalier en marbre est recouvert d’un tapis rouge et surmonté du drapeau de l’OTAN. «Pour reconstituer l’entrée du Palais de Cotroceni, pour une série télévisée », glisse Hana Serbu, chargée de l’accueil du public.

L’histoire même de la naissance des studios semble tirée d’un scénario. La légende raconte que Gheorghiu-Dej, secrétaire général du Parti communiste dans les années 1950, aurait lancé la construction de Buftea car sa fille, Lica, voulait faire carrière sur grand écran. Derrière l'anecdote, la création a surtout été motivée par la volonté du nouveau régime d'utiliser le septième art comme instrument de propagande. De 1959 à 1989, près de 80% des films réalisés dans les studios roumains (une vingtaine chaque année) étaient des productions plus ou moins ouvertement dédiés à la gloire du régime communiste.

Mais Buftea va aussi permettre l’émergence d’une génération de cinéastes roumains -Dan Pita, Mircea Veroiu, Sergiu Nicolaescu. Certains seront reconnus sur la scène internationale , à l’image de Gopo, récompensé à Cannes par la Palme d’or du meilleur court-métrage en 1957 ou de Liviu Ciulei, sacré meilleur réalisateur, toujours à Cannes, pour «La forêt des pendus» en 1965.
Rapidement, les studios vont aussi s’ouvrir aux productions étrangères. «Après 1968, lorsque Ceausescu s’est prononcé contre l’intervention russe en Tchécoslovaquie, la Roumanie a été perçue comme un pays plus ‘ouvert’», explique Roxana Crisan, responsable des relations publiques. «Mayerling» de Terence Young ou «Les Mariés de l’An II» de Jean-Paul Rappeneau y sont ainsi tournés.

Trois hectares de surface, vingt plateaux, quatre bassins pour les prises sous-marines…

Avec la chute de Ceausescu, le rideau tombe sur Buftea. Faute de financements, les studios glissent vers la faillite; les tournages se raréfient, l’équipe dirigeante ne parvient pas à opérer la transition. En 1998, ils sont mis en vente aux enchères. C’est le groupe Mediapro, conduit par Adrian Sarbu, qui l’emporte pour 107 milliards de lei de l’époque, soit l’équivalent de 10 millions d’euros actuels. C’est l’heure de la renaissance.

Une décennie plus tard, les studios Mediapro Pictures -leur nom officiel- affichent une éclatante santé. De nombreux programmes de Pro TV, comme les émissions de divertissement «Dansez pentru tine» ou des telenovelas telle «Inima de tigan», sont filmés sur place.
Surtout, le complexe accueille un nombre croissant de tournages de films. Outre les long-métrages locaux («California Dreamin’» de Nemescu, prix Un Certain regard à Cannes, a été réalisé et produit par les studios), les films étrangers sont de plus en plus nombreux. Derniers en date: «Fire and Ice», de Pitof, «Seeker: the dark is rising» de David Cunningham, produit notamment par la 20th Century-Fox.

Pourquoi ce succès? Coté infrastructures, Buftea joue dans la cour des grands. Après plusieurs extensions, les studios offrent désormais un parc de 28.000 mètres carrés, 20 plateaux, quatre bassins pour les tournages sous-marins -dont le plus important d’Europe de l’Est avec une surface de 750 mètres carrés et une hauteur de 5 mètres-, 30.000 costumes d’époque, un atelier de construction de décors, des décors extérieurs, un laboratoire de post-production, 500 employés… Après des premières années «difficiles» et des tournages de séries Z, Buftea s’est fait une réputation sur les scènes européenne, puis hollywoodienne. «Le vrai déclic a été le tournage d’Amen de Costa-Gavras. Ensuite le bouche à oreille a fait le reste.» Suivront «Callas Forever», «Modigliani», «Joyeux Noël»…

Surtout, la Roumanie (et plus largement l’Europe de l’Est) dispose d’un atout majeur pour attirer les réalisateurs: le coût. Un tournage y est jusqu’à 70% moins cher qu’à Los Angeles! Elle serait, en outre, 20% moins coûteuse que d’autres pays de la zone, telle que la République tchèque. Mais attention, si Buftea attire les productions étrangères, «c’est car ce coût moindre s’accompagne d’une prestation de grande qualité», insiste Roxana. «Un grand réalisateur ne viendrait jamais ici s’il n’avait pas la certitude de travailler avec des équipes compétentes. Aujourd’hui, nous avons des équipes au niveau, ce n’était pas forcément le cas les premières années mais les techniciens se sont formés au fil de tournages et maîtrisent les façons de travailler européennes ou américaines.» Autre atout: le pays lui-même. «Les paysages sont variés, préservés, il existe aussi des zones marquées par l’héritage communiste, propices à des tournages. Il n’y a qu’un seul bémol: l’état des infrastructures, des routes aux hôtels. En Bucovine par exemple, les paysages sont magnifiques, mais c’est bien trop loin et mal desservi.»

Reste que le succès des studios ne devrait que s’amplifier: plusieurs tournages sont déjà prévus en 2008 -impossible d’avoir plus de détails-, Mediapro souhaite développer la réalisation de coproductions régionales et la production de films roumains à l’image de «California Dreamin’». Enfin, un centre d’accueil doté de tout le confort -spa, pédicure, restauration…- sera bientôt achevé. Les studios espèrent également bénéficier de «l’effet Mungiu». «Avec la Palme d’or et le prix Un certain regard, tous les regards se sont tournés vers la communauté roumaine du cinéma. On sentait déjà un frémissement, mais depuis, il est clair que l’intérêt est de plus en plus marqué.»



La vie de Castel

Fondée par Vlad Paunescu, la société Castel Films a vu le jour en 1992. Composés de deux plateaux au départ, les studios ont grandi au fil des ans: ils possèdent aujourd’hui 9 plateaux de tournage dont le plus grand d’Europe. Le tout à une demi-heure de route au nord de Bucarest. En 15 ans, 125 films y ont été réalisés. Des productions étrangères pour la plupart. «Seuls deux films roumains ont été tournés dans nos studios pour le moment», détaille Bogdan Moncea, directeur du marketing. «A l’heure actuelle, un troisième, ‘Nunta Muta’, de Horatiu Malaele est en phase de post-production, et nous allons commencer dans quelques jours le tournage de ‘Luna verde’ de Alexa Visarion.» Ce sont donc essentiellement les productions étrangères qui font le succès de Castel Films. «Nous accueillons surtout des films des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne.» Parmi eux, Cold Mountain, Train de vie, Highlander, les Rois Maudits ou plus récemment Adam Resurected. «Nos atouts? Nos infrastructures, nos équipes, et surtout nos coûts de production, explique Bogdan Moncea, directeur du marketing à Castel Films. La Roumanie est en position de force en Europe dans ce domaine.»

Paru dans le numéro 34 de Regard

Les premières graines du «bio»


Ils sont 3400, une goutte d’eau au regard des 420.000 exploitations que compte la Roumanie, à avoir fait le choix de l’agriculture biologique. Un choix courageux car il n’existe pas encore de vrai marché au plan national et les rendements obtenus sont bien inférieurs à ceux de l’agriculture traditionnelle. Portrait de l’un de ces irréductibles, Petrica Munteanu, «converti» au bio depuis 2001.

Regard perçant, détermination sans faille et foi de prosélyte: Petrica Munteanu est un pionnier de l’agriculture biologique en Roumanie. Depuis cinq ans, dans sa ferme de 35 hectares située à Traian, dans le département de Ialomita (à l’est de Bucarest), il cultive et élève selon les normes écologiques. Tout est parti d’un désir simple. «Manger et produire sainement.» Alors en 2001, Petrica, 46 ans, a décidé de transformer son exploitation agricole en ferme biologique. Deux ans ont été nécessaires pour éliminer toute trace de produits chimiques et autres pesticides dans le sol. «Je cultive des céréales (maïs, blé, tournesol…) selon les normes bio, sans aucun traitement chimique. Je pratique aussi la rotation des sols, en alternant chaque année les cultures sur les champs afin de préserver la richesse du sol. J’ai aussi acheté des animaux, 300 brebis et 50 chèvres, afin de collecter leurs excréments pour en faire de l’engrais naturel», détaille l’agriculteur. En 2003, il obtient son certificat «bio» auprès d’une agence de certification allemande, Lacon, car à l’époque il n’existait pas d’agence roumaine équivalente. Chaque année, la société effectue trois visites de contrôle dans la ferme des Munteanu, dont deux inopinés, afin de vérifier que les normes de production sont bien respectées et qu’aucun additif chimique n’est utilisé. Pour éviter toute pollution extérieure, de la part des exploitations voisines non bio par exemple, Petrica a planté trois épaisses rangées de buissons forestiers. «Pour protéger mes terres».
Ce virage bio a révolutionné les modes de production dans la ferme familiale, où Petrica travaille aux cotés de ses parents et de son frère. «Le travail reste le même, planter, entretenir, récolter, mais nous utilisons maintenant des techniques manuelles: la faux, un cheval et un soc pour creuser un sillon. Nous avons aussi installé des pompes pour puiser de l’eau propre et irriguer. Nous avons un tracteur mais nous ne nous en servons que sur une petite partie de l’exploitation, celle où nous cultivons les céréales», précise-t-il.

INTER / Sans intermédiaires

Mais le principal changement s’observe surtout sur le plan du rendement. «Evidemment, la récolte est bien plus faible qu’auparavant», lance Petrica, «je produis 2500kg de blé par hectare, contre 4 à 5000 auparavant.» Pour s’en sortir financièrement et assumer son choix courageux, Petrica et sa femme Mariana ont décidé de vendre leur production sans intermédiaire, car il n’est pas possible de faire valoir la qualité pour vendre à un prix largement supérieur à celui du marché. «La vente directe était la seule solution. Sinon j’aurais fait faillite dès la première année.» Les deux époux ont loué un stand sur un marché de Bucarest et y vendent leurs produits de juin à octobre. Sur Piata Norilor, ils font «sensation» avec leurs produits certifiés écologiques. «Nous sommes les seuls sur le marché. Nous vendons les produits frais 10% plus cher le premier jour puis nous nous alignons sur les prix pratiqués par les autres commerçants. On s’est fait connaître peu à peu, on a fini par se constituer une clientèle d’habitués. J’ai essayé de développer un réseau de vente auprès de certains magasins mais sans suite pour le moment. Il n’y a pas encore de vraie culture de la consommation bio en Roumanie. Seul un client sur dix y est sensible d’après moi. Mais je suis sûr que les mentalités vont finir par évoluer.»
Bon an, mal an, Petrica Munteanu a réussi son pari et fait de son exploitation bio une ferme rentable. En 2007, il a ainsi dégagé un bénéfice de 10.000 lei (près de 2800 euros). «Evidemment, si on pense seulement en terme de rentabilité, il vaut mieux rester dans l’agriculture traditionnelle. Mais on doit penser à l’avenir, à l’environnement. Je pense en plus que le modèle de l’agriculture biologique peut être un espoir pour les agriculteurs roumains, qui pour beaucoup possèdent de petites exploitations. Sans compter que la Roumanie possède une tradition de culture «naturelle», notamment en Bucovine. Dans mon village, à Traian, j’ai organisé un symposium sur le sujet pour sensibiliser les autres producteurs aux techniques bio. Pour le moment, aucun n’a franchi le pas mais ils sont très intéressés.» Avec une abnégation admirable, Petrica prêche donc la bonne parole. Mais toutes ces volontés individuelles sont selon lui insuffisantes pour donner un vrai élan à l’agriculture biologique. «Il faudrait que nous soyons soutenus par le ministère, que des programmes d’aides financières soient mis en place, que les banques suivent. Pour le moment, ce n’est pas le cas, le bio n’est pas considéré comme une priorité. Pourtant, je suis convaincu que ce type d’agriculture, s’il est soutenu, peut représenter à terme 15 à 20% du secteur».

Marion Guyonvarch

Alternative plus que panacée

1%. C’est la part infime des surfaces cultivables roumaines consacrée à l’agriculture biologique. Sur le marché local, la vente de produits certifiés bio ne dépasse pas ce pourcentage, avec un chiffre d’affaires d’environ 2 millions d’euros par an. Point positif pourtant, la Roumanie se classait fin 2007 dans les vingt premiers pays exportateurs de produits «bio», selon les autorités gouvernementales.
Du côté du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, le secteur est perçu comme une alternative intéressante mais pas comme le remède miracle. «L’agriculture bio a une bonne image en Roumanie. C’est une chance, notamment grâce à l’existence d’un véritable marché européen. Ce genre de production, assez complexe car nécessitant de bonnes compétences techniques, pourrait constituer une alternative, mais je ne pense pas que c’est cela qui sauvera l’agriculture roumaine», estime le ministre Dacian Ciolos. «Nous avons néanmoins l’ambition de développer un office national de promotion des produits bio ainsi que les produits de qualité et du terroir.»

Paru dans le numéro 35 de Regard

Quand l’ours revit

En Roumanie, l’ours brun est une espèce protégée. Malgré ce statut, il continue d’être « domestiqué » par l’homme. Pour permettre à ces ours captifs de retrouver la forêt, Cristina Lapis a fondé il y a trois ans Libearty, un « sanctuaire » de 69 hectares, à une trentaine de kilomètres de Brasov. Reportage dans cette réserve, la plus grande du genre en Europe.

Max s'approche avec lenteur. La faute à ses 400 kilos mais surtout à ses yeux. Détruits. Les rétines brûlées par son ancien propriétaire. Max est un ours brun. Pendant dix ans, il a distrait les touristes et enrichi son “dresseur” devant le palais de Peles, à Sinaia. Loin de sa forêt natale, il vivait dans une cage minuscule, avec interdiction de se mettre debout. Jusqu'à ce que Cristina Lapis, présidente de l'association de défense des animaux « Millions d'amis » l'arrache à ce triste destin.

Bien que l’ours brun soit une espèce protégée et que la Roumanie ait signé sans réserve la convention de Berne, il n'est pas rare que cet animal sauvage soit “domestiqué” et échoue dans des cirques ou chez des particuliers qui l’utilisent à des fins commerciales. Pour Max, et pour tous ces ours rendus dépendants par ce contact avec les hommes, le retour à la vie sauvage est impossible ; et la seule solution fut pendant longtemps l’euthanasie. « Une fois qu'un ours a été nourri et entretenu par un homme, il est perdu pour la forêt », explique Cristina.

Blonde au regard lumineux, elle a lutté pendant des années pour mettre sur pied un lieu capable d’accueillir ces ours « captifs », dans un cadre protégé en pleine nature. En grande partie en mémoire de Maia, une ourse emprisonnée qu’elle a tentée de sauver pendant des années, mais qui « est morte dans mes bras ». « Je me suis juré alors que ça n'arriverait plus », assène Cristina.
L’accouchement de ce projet de réserve naturelle fut difficile, entre obtention des autorisations, recherche des financements, du terrain...C'est finalement à Zarnesti (département de Brasov), sur un terrain mis à disposition par la mairie, que Libearty, financée par la WSPA (association mondiale de protection des animaux) et des donations, voit le jour en août 2005.

Aujourd’hui, ce sont 38 ours bruns, dont Max, tous anciens captifs ou pensionnaires de zoos, qui y redécouvrent une quasi-liberté selon un processus bien réglé. « On les récupère dans le pays. Il faut qu’ils se remettent physiquement car ils sont en mauvaise santé, ont des problèmes dentaires à force d’avoir rongé les barreaux, ont de l’arthrose,... », explique Lotzi Dinka, le directeur de la réserve. Après un séjour en quarantaine et un passage en « zone d’entrainement », les ours sont relâchés dans la nature. Chaque jour, 14 employés se relaient pour les nourrir. Plusieurs enclos, protégés par des barrières électrifiées, ont été érigés sur les 69 hectares de la réserve, des bassins d’eau aménagés. L’ensemble du domaine est surveillée par une batterie de caméras.

A voir Sofia et Miko, deux jeunes ours d’un et deux ans grimper aux arbres, « le regard enfin heureux », Libearty semble réussir son pari. Mais cette solution reste malgré tout un pis-aller. « C’est une belle fin de vie », explique Cristina, « mais ça ne remplacera jamais la vie qu’ils auraient eu à l’état sauvage. Il faut changer les mentalités, faire comprendre que l’ours est un animal sauvage.» Et pour appuyer son discours, elle raconte l’exemple de cet ourson, qu’une famille a voulu élevé comme son propre enfant. « Elle mangeait à table, dormait avec eux… elle aussi est perdue pour la forêt. »

Alors pour faire bouger les esprits, elle a accepté d’ouvrir la réserve au public. Attention, Libearty n’a aucunement vocation à devenir un zoo ; mais elle accueillera ponctuellement et sur demande des groupes pour les sensibiliser au sort de ces ours captifs et, plus largement, à ceux de cette espèce menacée (lire encadré).
Le combat de Cristina est loin d’être terminé. D’après les signalements qu’elle a reçus, il y aurait encore au minimum une trentaine d’ours en captivité à travers le pays. « L’un d’entre eux est par exemple enfermé sur le parking d’une station essence», affirme Cristina, qui déplore l’immobilisme des autorités et lutte souvent seule pour réussir à convaincre les « propriétaires » de rendre ces animaux à ce lieu qu’ils n’auraient jamais dû quitter : la nature.


Encadré
Des ours qui quittent la forêt pour venir se nourrir dans les poubelles de Brasov, plusieurs cas de touristes ou promeneurs attaqués, blessés ou tués … Ces dernières années, la cohabitation entre ces animaux sauvages et l’homme ne se fait pas sans problèmes. Officiellement, la Roumanie abrite 6000 ours bruns, soit 60% des spécimens recensés en Europe (des quotas de chasse - 330 animaux en 2008 - sont établis chaque année).
La plupart des accidents semblent être imputables à l’homme, qui « ne respecte pas l’habitat des ours, ou pire encore, veut les transformer en attraction touristique », explique Dorel Noaghea, le responsable de l'association des chasseurs de Brasov. Mais les autorités ont enfin pris des mesures. Un programme de relogement des « ours éboueurs » - ceux qui descendent se nourrir aux poubelles de Brasov et des villes limitrophes - a été prévu et les autorités envisagent d’installer un système d’ultrasons pour tenir les ours à distance. M.G.

Paru dans le numéro 38 de la revue Regard

Partie de campagne


Loin, bien loin du bruit et de l’agitation de la ville, la vie à Pipirig suit le rythme de la nature, du jour et des saisons. C’est dans cette commune moldave, à une trentaine de kilomètres de Targu Neamt, que vivent Dumitru et Rodica David, 59 ans. Fin février, pendant trois jours, le couple a partagé son quotidien, raconté ce village qu’il connaît si bien et nous a fait rencontrer quelques-uns de ses habitants. Portraits.

Ils vivent ici depuis toujours, en contrebas de la nationale qui traverse le village et où se croisent camions et charrettes. C’est dans cette maison traditionnelle moldave qu’est née Rodica ; ici qu’après leur mariage, elle et Dumitru se sont installés et ont élevé leurs trois garçons, ici qu’ils vivent tous les deux depuis le départ des enfants partis travailler à Bucarest et étudier à Iasi. Une maison où le poêle diffuse une douce chaleur et où règne un calme olympien, seulement interrompu par les miaulements des deux chats.
En ce vendredi après-midi, Rodica, institutrice à l’école du village, vient juste de terminer sa semaine de travail. Sans perdre une seconde, elle commence à s’affairer en cuisine. Il y a deux ans, le couple a rénové la maison, désormais dotée de tout le confort moderne. « Seuls deux villages sur les sept de la commune, soit 20% des habitants, ont l’eau courante. Nous, nous l’avons installé nous-mêmes », explique Rodica.
Le jour décline déjà sur les collines enneigées qui entourent le village, le bruit d’une voiture tire le chien de son sommeil : c’est Dumitru qui rentre de la mairie, où il est secrétaire. Elégant et posé, une toque en fourrure vissée sur le crane, il entreprend de faire le tour du propriétaire. L’étable et les quelques poules qui y logent, le potager à l’arrière de la maison, où au printemps il plante pommes de terres, poivrons, oignons, la serre où il fait pousser des tomates, le champ en bordure de la rivière, où paissaient autrefois les animaux. « Jusqu’il y a quelques années, nous avions des vaches, des moutons. Mais je n’en ai plus envie», dit Dumitru.
Pour la majorité de ses voisins, cette agriculture de subsistance reste la principale source de revenus. « Il y a des exploitations forestières, quelques puits de pétrole, mais la plupart des gens élèvent des animaux, cultivent la terre. Le village reste assez pauvre. Le problème, c’est l’absence d’emplois. Après 1989, les usines ont fermée ; les gens sont partis travailler à l’étranger, les jeunes surtout. Beaucoup ici vivent de l’aide sociale. »
L’espoir pourrait venir des fonds structurels, qui devraient permettre de doter le village d’infrastructures et d’asphalter les routes, toujours en terre. Déjà, l’argent européen a financé quelques projets. La casa Afetelor, grande bâtisse en pierre ouverte il y a un an et demi grâce aux fonds Sapard, se dresse en plein cœur du village et affiche fièrement ses trois marguerites. Après neuf ans à l’étranger, Ioan Afetelor, 36 ans, a ouvert cet établissement de 20 lits pour « développer le tourisme et relancer l’activité du village ». Entre « les traditions, les paysages, la proximité des monastères, il y a un vrai potentiel», affirme Ioan.
De retour dans son salon, Rodica préfère elle raconter le passé, d’une voix empreinte de douceur. En feuilletant ses albums photos, elle se souvient d’une époque et d’un mode de vie en voie de disparition. «Toute sa vie, ma mère a porté ce costume, typique de la région. Elle l’avait brodé elle-même, tout comme ces tapis, ces couvertures, ces tissages, qu’elle a faits avec sa mère. Quand j’étais jeune, ces traditions étaient très vivaces, aujourd’hui elles ont tendance à disparaître », dit-elle. « Elles perdurent un peu lors des grandes fêtes, comme au Nouvel An ou à Pâques pour la fête de la commune. Il y a encore quelques femmes qui continuent de tisser, mais de moins en moins. »

Samedi, 18h. La nuit est déjà tombée sur Pipirig, après une journée consacrée pour Rodica, Dumitru et leurs voisins « aux travaux de la maison », de l’entretien des bêtes à la coupe du bois. Si certains, notamment les hommes, trainent des heures au bar, pour la grande majorité, la vie tourne autour de la « casa ». Une « casa » qu’on ne quitte que pour faire un saut dans l’un des magasins d’alimentation ou pour rendre visite à des amis.
Assis dans le canapé, Dumitru, levé depuis six heures et demie, s’offre une pause devant l’une de ses émissions fétiches, Teleenciclopedia. A la campagne, la télévision est le loisir numéro un. Rodica, elle, est en cuisine et prépare le dîner. « Le carême commence lundi », explique-t-elle en décortiquant un poisson, « dès cette semaine, on supprime la viande. Nous respectons le jeûne avant Pâques et avant Noël. Les gens sont restés assez croyants et pratiquants. »
Le lendemain matin, la messe dominicale confirme la ferveur religieuse. L’église glacée est pleine d’enfants, de couples, de personnes âgées qui écoutent religieusement les paroles du pope « né au village », souffle Rodica. La religion est un vecteur important de sociabilité et d’organisation de la société villageoise. A la sortie de l’église, les habitants restent échanger quelques mots, certains prennent la direction du café, se donnent rendez-vous pour une sortie dans l’après-midi - un match de football ou une descente en luge dans les collines.
Les enfants venus en visite, les étudiants rentrés pour le week-end, attendent, eux, l’autobus devant l’église pour prendre le chemin du retour. Celui des villes.

La vie de famille
Attablés dans la cuisine, Dana Stanoie et son mari Cristi accueillent le visiteur par un concert de guitare de la petite dernière, Smaranda. « Elle prend des cours à Targu Neamt, on s’est arrangé avec deux autres familles et l’on fait le trajet à tour de rôle», explique Dana, pétillante quadragénaire, mère de deux enfants. Entre le câble et Internet - apparu il y a trois ans dans la commune -, les deux petits « campagnards » n’ont pas des loisirs très différents de leurs camarades de la ville ; comme eux, ils sont rivés sur Discovery Channel ou MTV et « chattent sur Messenger », résume Smaranda, 9 ans. Son frère, Octavian, déboule dans la cuisine après être allé jouer dehors avec ses copains. A 13 ans, il va bientôt entrer au lycée et comme tous les adolescents de Pipirig devra alors prendre le chemin de Targu Neamt, car l’école du village s’arrête à la 8ème (l’équivalent de la 4ème) ; et fera la navette chaque jour ou sera logé à l’internat.

A contre-courant
C’est jour de marché et comme chaque samedi, sur les bords de la rivière Neamt, les marchands ont dressé leurs étals, sur des charrettes, des couvertures posées à même le sol ou sur des tables pliantes. Sacs de maïs, légumes, vestes et chaussures bon marché, ici les habitants viennent acheter ce qu’ils ne trouvent pas dans les petits magasins du village. Emmitouflé pour braver le froid, Dan George Dinu, 27 ans, attend le client. Avec sa femme, Maria Vasilica, il tient depuis trois ans un entrepôt de matériels de construction. Après des études d’économie à Iasi, il a choisi de revenir « chez lui ». « Ici, tu peux te réaliser, avoir une maison ; en ville, c’est beaucoup trop cher. J’aurais pu trouver du travail à Iasi, à Bucarest, mais j’ai préféré revenir et ouvrir ma propre entreprise.» Un choix « marginal » dans une commune où les jeunes ont tendance à partir. Ce choix, le couple ne le regrette pas. « Notre affaire marche plutôt bien, il y a beaucoup de maisons en construction dans le village », dit Dinu. Sa vie rêvée à la campagne s’articule autour de sa femme, de la maison qu’il a rénovée et des escapades du week-end, « à Targu Neamt, où l’on sort avec des amis », ou « dans les collines pour un gratar ou un match de football ». Dans un sourire, le jeune couple ajoute : « On ne pourrait pas être plus heureux qu’ici. »

Comme autrefois
Leur petite maison traditionnelle, fraîchement repeinte d’un blanc lumineux, est l’archétype même de la « gospodarie ». Ana Dorneanu et son mari Ioans, la soixantaine, font la présentation de leurs bêtes : quelques vaches, une vingtaine de moutons - dont le dernier né il y a une heure à peine - et des poules. « On ne les vend pas, c’est juste pour nous », explique Ana, le visage buriné par des années au grand air. Depuis toujours, ils pratiquent une agriculture de subsistance dont ils parviennent à vivre, chichement. Au prix d’un travail pénible et sans relâche, dont le rythme est calqué sur celui des bêtes. « On se lève pour la traite ; les brebis trois fois par jour, les vaches deux fois. Il faut les nourrir, les faire boire - en allant chercher l’eau au puits - il faut faire le « cas » (fromage traditionnel fabriqué à partir du lait de brebis). Il n’y a pas de pause quand on a des animaux », détaille Ioan. Quand vient l’été, le travail s’intensifie encore : Ioan se fait berger et part trois mois dans les collines où s’en vont paitre les moutons. Pendant ce temps-là, Ana se consacre au fourrage dont les animaux auront besoin à l’automne. Faucher les foins, à la faux, les rassembler pour former les meules, les rentrer dans la grange, tout se fait « manuellement », sans l’aide d’aucune machine. Deux de leurs cinq enfants ont choisi de suivre leur exemple et ont leur propre « gospodarie », toujours au village. Les autres sont partis, à la ville.

Partir pour mieux revenir
Samedi après-midi. Dans l’un des bars du village, quelques tables sont occupées par des hommes âgés, qui enchaînent les bières en s’échangeant les dernières nouvelles. L’atmosphère est enfumée, la radio crache les derniers tubes du moment. Près de la fenêtre, un groupe de cinq jeunes passe le temps. Au centre de leur conversation : l’Espagne. Cristi est à Barcelone depuis cinq ans, travaille dans la construction et est rentré pour un mois de vacances. « J’ai fait comme tout le monde, je suis parti pour faire de l’argent. Ici, c’est impossible d’avoir un bon salaire. J’économise et je rentrerai un jour me construire une maison», raconte le jeune homme de 24 ans. Pipirig est touché de plein fouet par cette migration vers l’ouest. Pas une famille ou presque dont l’un des membres ne travaille en Italie ou en Espagne. Ces « migrants » profitent de l’argent gagné « afara » pour se construire des maisons, souvent gigantesques, « acasa ». Cristi poursuit le même rêve mais avoue à demi-mot que le retour est étrange. « Tout me paraît bizarre, c’est aux antipodes de Barcelone… Et puis, il n’y a vraiment rien à faire. Il y a bien une discothèque, mais elle est ouverte que le dimanche et ferme à 20h ! Mais je reviendrai, car là-bas ce n’est pas chez moi et puis je ne pourrais jamais m’y acheter une maison. »


Carte d’identité de Pipirig
Commune située dans le département de Neamt, au nord du pays.
Elle est composée de 7 villages (Pipirig, Boboiesti, Dolhesti, Leghini, Pluton, Stinca) et abrite 8900 habitants au total. Signes particuliers : elle s’étire le long de la route nationale, sur plus de 25 kilomètres. A vu naître les grands-parents de Ion Cranga, le célèbre fabuliste et donné un patriarche à la Roumanie, Nicodim Munteanu (1864-1948), qui fut le deuxième patriarche de l’Eglise roumaine orthodoxe roumaine, de 1939 à1948.

Paru dans le numéro 39 de Regard

Sexualité: l'urgence d'informer

En juin dernier, un rapport de la Commission européenne dressait un triste bilan : les adolescentes roumaines sont parmi les plus nombreuses en Europe à avorter ou à avoir des grossesses non désirées. Après des années d’interdiction de la contraception sous le communisme, un programme de planification familiale essaie depuis 1990 d’aider les femmes roumaines à maitriser leur sexualité. Reportage.

Dans cette aile de l’hôpital bucarestois Panait Sarbu, la salle d’attente n’est peuplée que de femmes. Agées entre 15 et 50 ans, elles sont venues bénéficier des services du principal centre de planification familiale du pays, où elles sont suivies gratuitement. Depuis 1990, près de 34.000 patientes en ont poussé la porte. Ce centre est surtout l’adresse la plus indiquée en matière de contraception, notamment pour les jeunes. Ici, les lycéennes et étudiantes (environ 50% des patientes) profitent de consultations et de contraceptifs gratuits.
En cette fin de matinée hivernale, une silhouette frêle fait irruption dans le cabinet de Mihaela Grigoriu, l’une des gynécologues du centre. Carmen, 23 ans, s’assoit. « J’ai avorté à 18 ans ; j’avais été informée sur la contraception mais je n’en utilisais pas, j’étais persuadée que rien ne m’arriverait. Je suis tombée enceinte. Après l’avortement, j’ai pris la pilule pendant trois ans, la même qu’une de mes amies, sans recommandation médicale. Là, je commence à avoir des cycles perturbés», raconte la jeune fille. Son histoire ressemble à celles de milliers d’autres jeunes Roumaines pour qui l’accès aux contraceptifs et surtout leur utilisation ne va pas de soi.

« C’est le poids de l’histoire», explique Borbala Koo, directrice de la société roumaine d’éducation contraceptive, « sous Ceausescu, la contraception était interdite, d’où le recours massif à l’avortement. Depuis 1993, un programme national de planification familiale a été mis en place et le taux a sensiblement chuté – il a été divisé par 7 depuis 1989. Mais il reste supérieur à celui des pays d’Europe de l’Ouest. Il est difficile de changer les mentalités… »

Entre préjugés et manque de communication
La contraception elle-même reste assez peu répandue : un peu plus de 40% des femmes utilisent un moyen de contraception. Les adolescentes n’échappent pas à la règle, malgré des informations dispensées dans les collèges et un accès facile aux contraceptifs, partout dans le pays. « Les médecins de famille ont été formés par les services du planning familial et peuvent distribuer gratuitement des contraceptifs», explique Mihaela Grigoriu.

« Depuis 1993, un programme national de planification familiale a été mis en place et le taux d’avortement a sensiblement chuté – il a été divisé par 7 depuis 1989 »


Reste qu’au moment de commencer leur vie sexuelle, les jeunes filles sont peu nombreuses à pousser la porte du médecin. « Certaines viennent nous consulter avant d’avoir des relations, mais beaucoup arrivent après un avortement. C’est valable pour toutes les catégories sociales », reconnaît Mihaela. «Les jeunes savent qu’un rapport sexuel non protégé peut mener à une grosses non désirée. Mais ils ne se protègent pas pour autant. Il y a une réticence des adolescentes à demander des contraceptifs et le taux d’avortement est plus important que chez les femmes plus âgées », confirme Adriana Constantin, médecin au centre de Panait Sarbu. « Il y a encore, chez les parents et donc chez leurs enfants, des idées fausses – la pilule qui ferait grossir, le stérilet qui provoquerait le cancer… » .

« Il faudrait de vraies campagnes d’éducation sexuelle dans les écoles, d’autant que le dialogue est souvent difficile en famille, notamment dans les campagnes », notre Borbala Koo, « Il faut éduquer les jeunes Roumains à la sexualité, aux rapports amoureux, à l’appréhension de leur vie sexuelle. Car il y a aussi le problème des maladies sexuellement transmissibles.»

Malgré les progrès qui restent encore à faire, les médecins du Planning familial regarde le chemin parcouru depuis 1989 avec fierté, et l’avenir avec confiance. « La situation va continuer de s’améliorer, les mentalités d’évoluer et le recours à une contraception moderne de se répandre », prédit Mihaela. Pour Carmen, en tout cas, qui quitte le cabinet avec une série d’examens sanguins et la promesse d’une pilule adaptée, c’est désormais une réalité.

Marion Guyonvarch

Paru dans le numéro 39 de la revue Regard