jeudi 17 juin 2010

David Schwartz : « Les répercussions de la minériade sont encore visibles en 2010 »

Il y a vingt ans, du 13 au 15 juin 1990, les mineurs descendaient sur Bucarest pour mettre fin aux manifestations des « golanii », ces opposants au régime nouvellement élu de Ion Iliescu, Place de l’Université. Bilan des violences : 7 morts officiellement, mais près d’une centaine selon d’autres sources, et des milliers de blessés.
Traumatisme de la toute jeune Roumanie démocratique, ces minériades sont encore l’objet de questions sans réponse et ont profondément marqué les esprits et le fonctionnement de la sphère publique. Vingt ans après, elles semblent pourtant être un souvenir flou, refoulé, méconnu par les nouvelles générations. Cinq jeunes artistes roumains ont décidé de s’attaquer à ce sujet délicat, peu abordé contrairement à la révolution. Résultat, une performance à la croisée des genres, qui revient sur ces événements, leur passé et sur la façon dont les Roumains ont digéré ce passé. Capetele Infierbantate se joue demain soir au Centre national de la danse. Interview avec le metteur en scène, David Schwartz.


Comment est né ce projet à la frontière entre l’art, le travail d'historien et le théâtre ?

L’idée de ce projet est née après une discussion avec Mihaela Michailov sur les événements qui ont fortement marqué Bucarest, sur le plan social et politique, après 1989. On s’est arrêté sur les minériades parce qu’il s’agit d'un événement qui a été très peu traité dans le domaine artistique. Nous avons essayé de nous documenter le plus possible, d’avoir une perspective la plus large possible sur les événements des 13-15 juin 1990, puis de construire notre propre perspective à partir de ces points de vue multiples que nous avions rassemblés.

Pourquoi est-ce important de parler de cette page de l’histoire roumaine ?

Le philosophe espagnol George Santayana a une phrase dans laquelle je crois très fortement : « Ceux qui n’ont pas la mémoire de leur propre histoire risquent de la voir se répéter. » Avec ce spectacle, nous avons essayé de susciter le débat, de ramener ce moment très violent de l’histoire récente roumaine sur le devant de la scène, d’autant que nous pensons que les répercussions de cette minériade sont encore visibles en 2010.

Ce spectacle parle de la notion de mémoire. Selon vous, quel rapport ont les Roumains et notamment la jeune génération dont vous faites partie avec ce passé ?

Je crois qu’en Roumanie, l’histoire est falsifiée, notamment dans les manuels scolaires, dans le système éducatif, et de ce fait, dans les mentalités collectives. De Mihai Viteazu à Stefan Cel Mare en passant par l’Entre-deux-guerres et l’Holocauste, il y a des choses cachées, omises, déformées intentionnellement. La jeune génération ignore le plus souvent l’histoire, justement parce qu’elle a conscience de ces falsifications grossières et ridicules. Je crois qu’il est justement important, au moins pour l’historie récente, pour laquelle il existe des témoins directs, qu’on essaie de constituer une archive de l’histoire collective, par le biais des témoignages de ceux qui l’ont vécue. C’est ce type d’archive performative que nous avons utilisé pour Capete Infierbantate et qui permet, je crois, un certain détachement et une objectivité nécessaire. Propos recueillis par Marion Guyonvarch