jeudi 27 mai 2010

Dans les pas de Monsieur le maire


Petru Iuga, 60 ans, est depuis dix ans maire de la commune de Varfuri, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Bucarest, dans le département de Dambovita. Sept villages, 2080 habitants, Varfuri a une activité économique limitée à la culture des pommes, une agriculture de subsistance, malgré sa proximité avec Targoviste et Sinaia. C’est une commune rurale banale. Comme des milliers d’autres à travers le pays, elle est confrontée au défi de la modernisation et du développement. Cette lourde mission repose en grande partie sur les épaules de Petru Iuga. Regard a suivi la journée type d’un maire toujours en mouvement.

7h30
Le brouillard nimbe encore la mairie, mais la lumière crue d’un néon irradie le rez-de-chaussée. « Domnul primar » est déjà là. Matinal, Petru Iuga a déjà nourri ses animaux, conduit les enfants d’un village isolé à l’école. Assis à une table où s’empilent des dossiers, il n’a pas pris le temps d’enlever son anorak et sa casquette. Depuis dix ans, il consacre son incroyable énergie à gérer et faire « grandir » Varfuri. Il dit être devenu maire « par hasard ». Ingénieur auto, il est licencié, candidate « pour voir » et est élu. C’était en 2000. En 2008, le sexagénaire a été réélu, « de peu mais réélu » pour un troisième mandat. La preuve selon lui qu’il ne doit pas être trop mauvais. Ce matin, concentré, il rédige une réponse à l’Agence nationale du logement. « On a un bloc et ils veulent savoir si on veut faire des logements sociaux. Il y a bien quatre ou cinq personnes âgées qui pourraient être intéressées mais elles n’ont pas l’argent», soupire Petru.

8h
La télé débite les infos du matin. Viorica et Floria Victoria, deux employées, arrivent à leur tour. « On est chez elles», s’amuse Petru. Des habitants passent dire bonjour ou demander un renseignement. Les employés défilent, tendent un document à signer, un dossier à remplir. « Pour la taxe sur les engrais, il faut régler cela avec Moreni », lui lance Viorica, chargée des questions agricoles. Moreni est l’une des deux villes voisines, avec Pucioasa. « On doit souvent faire des allers-retours dans les administrations. Il y a deux jours, j’ai eu des réunions au conseil général à Targoviste. Hier, j’étais à Pucioasa pour un procès contre une administrée. » Le téléphone sonne. Petru décroche. « Oui, c’est ce matin. » Il pose le combiné. « On a un enterrement, un homme de 90 ans, sa petite-fille est professeur ici. »

8h55
Embarqué dans la Logan de la mairie, Petru grimpe vers Carlanesti, l’un des sept villages de la commune. La route n’est pas asphaltée et la boue rend le parcours difficile. « En hiver, c’est souvent inaccessible. On a déposé un projet dans le cadre de la loi 322 sur la réhabilitation des villages, pour refaire une partie de la route. Il paraît qu’on est bien coté mais on n’a pas eu la réponse. Avec les financements de l’État ou les fonds européens, ça prend du temps... Pour la route départementale qui relie la commune à Pucioasa, j’ai fait pression pendant dix ans! Ce n’est que l’an dernier que le chantier a commencé. Pour le système d’alimentation en eau, même si les travaux sont finis, il n’est pas encore en marche. Mais on n’a pas le choix », lâche Petru.
En 2009, le budget de la mairie se montait tout juste à 130.000 lei (soit 30.000 euros environ). Une fois versés les salaires des 26 employés (dont le sien « de 1800 lei »), « on a plus rien ». Faute de sociétés installées sur son territoire Varfuri est totalement dépendante des fonds extérieurs. « Finalement, on a disposé de plus de 400.000 lei. Le conseil général nous a pas mal aidés », explique Petru, volubile. « Le président est du PD-L lui aussi et il a des liens avec une commune voisine. Ça aide… » Le parti semble d’ailleurs jouer – indirectement – un rôle important dans l’administration de la commune. « Ils (comprendre les dirigeants au niveau départemental) nous aiguillent, nous disent à quel genre de programmes postuler, nous recommandent des sociétés de consultance. Pour la base sportive qu’on va construire, par exemple, ce sont eux qui m’en ont parlé. »

9h20
Petru se gare devant une petite maison. « C’est l’école. On loue le bâtiment», explique-t-il. « Elle a failli fermer l’an dernier, mais l’inspecteur est de la commune d’à côté et il l’a maintenue ouverte. Heureusement. » Souriant, il salue les enfants, une vingtaine. Les deux institutrices lâchent une mauvaise nouvelle : un chemin est détruit, un peu plus bas; certains enfants n’ont pas pu venir. « C’est la pluie…On a souvent des glissements de terrain. Dans les années 1970, toute une partie du village a été détruite. » Petru prend congé et sort son téléphone pour avertir Razvan, « le monsieur situations d’urgence de la mairie ».

10h45
L’enterrement va débuter dans l’église. Petru passe rapidement allumer un cierge en mémoire du défunt, serre des mains. Informe une vieille femme que le dossier de son fils pour une allocation est en suspens. Remonte vite dans sa Logan. Devant la mairie, une mère de famille l’apostrophe. « Alors, tu as des sous pour moi ? » … « Pas avant deux semaines. » Elle hausse le ton. « Je sais que c’est pas ta faute, mais ça tarde quand même. » C’est la mairie qui verse les allocations et autres aides financières. Cette année, l’argent pour le bois de chauffage se fait attendre et Petru doit gérer l’impatience voire la colère des habitants. « Ici, beaucoup ne travaillent pas, 20% d’entre eux doivent avoir un emploi, les autres vivent des aides sociales et d’une petite agriculture de subsistance. »

12h30
Pause déjeuner. Réunis dans le bureau autour de Petru et d’un verre de coca, Viorica, Daniela, Floria Victoria se projettent dans l’avenir. « La route va être finie cet été, moi je pense que d’ici à deux ans, les choses bougeront. Depuis plusieurs années, des Bucarestois achètent ici, l’une va construire une pension, c’est un signe », s’emballe Floria. Petru est plus sceptique. « J’espère. La commune a des atouts, un potentiel touristique, est bien située. On pourrait développer le travail du bois ou des petites sociétés agricoles. Mais c’est toujours pareil, ça suppose de l’argent. On a déjà fait des choses. L’eau. La route. Le câble, Internet. L’école élémentaire a été refaite, et dotée d’ordinateurs grâce à un programme européen, comme le foyer culturel. Mais le nœud du problème, c’est l’absence d’activité économique. Et puis, la commune vieillit et les jeunes qui font des études ne reviennent pas s’installer ici. »

14h15
Les employées femmes viennent de partir, expliquant que « monsieur le maire nous autorise à partir plus tôt le vendredi ». Petru, lui, se rend dans l’un des magasins d’alimentation du village. C’est ici qu’a lieu la « pomana », le repas en mémoire du défunt. « Je suis un peu obligé de passer, ils le prendraient mal », glisse-t-il dans un souffle. Il avale une assiette de « sarmale », se remémore quelques anecdotes avec la fille du défunt et prend congé.

15h25
Razvan débarque dans le bureau, des photos du chemin accidenté à la main. « On va faire un rapport à Targoviste », explique-t-il. « Ils vont faire comme d’habitude, venir et ne pas intervenir », s’amusent Petru et le vice-maire, Razvan, jeune trentenaire (peut-être) promis à prendre sa succession. Le téléphone sonne. « Oui, dimanche, en fin de matinée. » « C’est une habitante qui doit venir à une réunion organisée pour les retraités et à laquelle je serai aussi. Ça arrive souvent de travailler le week-end», précise Petru. « Ici, on est ouvert 24 heures sur 24. » Il éteint la lumière. Dans une poignée de minutes, la mairie va fermer et Petru partira rejoindre sa femme, installée à Pucioasa. Mais ce week-end, comme toujours, « Domnul primar » ne restera pas loin de son téléphone.

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