jeudi 27 mai 2010

L'eldorado des escargots

La Roumanie, nouveau paradis des escargots? Difficile à croire. Depuis quelques années pourtant, les élevages d’exportation se multiplient. Reportage à Teliu, à une trentaine de kilomètres de Brasov, où une coopérative regroupant 250 producteurs croît… à grande vitesse.

A première vue, une banale parcelle de terre herbeuse, divisée en enclos. Mais mieux vaut ouvrir l'oeil. Car soudain, Marcel Macris, le propriétaire des lieux, se penche et ramasse un escargot, puis deux, trois… Ici, sur un hectare, près de 2,7 millions de gastéropodes grandissent tranquillement, en attendant d’être exportés vers l’Europe de l’Ouest ou l'Amérique du Nord, où ils seront dégustés par les nombreux amateurs. Des Bourgogne principalement, «les plus recherchés».

A Teliu, comme dans de nombreux coins de Roumanie, «la folie des escargots» s’est emparée du village. Il abrite aujourd'hui une dizaine d'exploitations. «Depuis 2003-2004, la collecte d’escargots en pleine nature est interdite dans les pays comme la France ou l’Italie. Du coup, les grands producteurs se sont tournés vers l’Europe de l’Est, et de nombreuses fermes ont émergé pour répondre à la demande», explique Marcel Macris. On compte aujourd'hui plus de 400 exploitations en Roumanie. «L’idée s’est développée que l’élevage d’escargots était un moyen facile de gagner beaucoup d’argent, déplore-t-il. Alors que c’est tout sauf aisé. Cela demande du temps, de l’investissement et de la patience.»

« Avant les années 50, la Roumanie était un producteur important »

Ancien architecte et restaurateur, revenu vivre au pays après 30 ans aux Etats-Unis, ce quinquagénaire dynamique s'est lancé dans l'aventure en 2004. Il disserte avec passion sur les mérites comparés de l'escargot de bourgogne (l'essentiel de sa production), du «gros gris» (qu'il introduit dans son exploitation) ou du turc. Raconte les us et coutumes de «cet animal intelligent», capable de «résister à des températures de moins cent degrés en état d'hibernation» et qui, passé dix heures du matin, rechigne à sortir de sa coquille. Explique les secrets du métier, le sol qui doit rester humide, le diamètre qui doit être compris entre 28 et 34 millimètres, l'herbe qu'il faut couper chaque jour pour que les hermaphrodites se sentent bien…

Loin de céder au mirage de l'enrichissement rapide, il a entrepris avec une poignée d'autres producteurs de mettre sur pied une véritable filière de production. En octobre 2005, ils fondent EscarProd, une coopérative agricole, un statut pour le moins original dans le paysage économique roumain (chaque membre achète des actions et bénéficie d'une voix au sein du Conseil d'administration). «Il existe peu de coopératives en Roumanie, nous sommes la deuxième et la seule qui fonctionne vraiment efficacement», avance Marcel, président du C.A. de la structure qui compte désormais 250 membres répartis dans 28 départements. «Nous avons réussi à collecter un capital social de 600.000 euros, souscrit des emprunts et commencé la construction d'une usine de deux millions d'euros», raconte-t-il tout en assurant la visite guidée de la future unité, qui ouvrira ses portes cet automne. Cuves pour ébouillanter les escargots, chaînes de production, sas d'hygiène, chambres frigorifiques, tout est ultramoderne et conforme aux standards européens les plus rigoureux.

Car EscarProd a choisi de penser sur le long terme et s'est positionnée d'emblée sur le secteur du «bio». «C'est la tendance, sourit Marcel. Pas question de gaver les escargots et de les mettre en vente au bout d'un an; ici, ils sont nourris avec des plantes, de la farine de maïs, des courgettes et ne sont mis sur le marché qu'après trois ans. Les premiers vont donc sortir bientôt. Nous avons obtenu la certification Eco-Cert, l'une des plus réputées. Nous allons proposer une gamme variée de produits, des escargots congelés bien sûr, mais aussi des terrines, de la soupe ou des saucisses...» Objectif, produire 5000 tonnes chaque année. Une production que la coopérative ne devrait avoir aucun mal à écouler tant la demande est forte. Des contacts avec des clients allemands, suisses et français ont été noués. EscarProd lorgne vers les Etats-Unis et le Canada, où la chair des gastéropodes est également très appréciée. «Ce n’est qu’un retour aux sources, conclut Marcel Macris. Avant les années 50, la Roumanie était un producteur important. En 1968, quand j’ai quitté le pays, je suis arrivé à Paris, gare de Lyon. Sur le quai, il y avait des caisses et des caisses d’escargots venus de Roumanie. De nombreuses recettes ont d’ailleurs des dénominations roumaines, ‘à la bucarestoise’, ‘de Moldavie’... La tradition s’était perdue, mais l’erreur est en passe d’être réparée.»

Paru dans le numéro 32 de Regard

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