jeudi 27 mai 2010

Silence, on tourne (beaucoup)

Depuis la chute du communisme, l’Europe de l’Est s’affirme comme le lieu de tournage privilégié des productions continentales et américaines. Avec deux studios d’envergure, Mediapro Pictures et Castel Films, la Roumanie attire de plus en plus: «Cold Mountain», «Modigliani», «L’homme sans âge» ou «Capitaine Conan» ont par exemple été tournés sur place ces dernières années. Reportage à Buftea, dans les studios Mediapro, nés sous le communisme, pour découvrir l’envers du décor.

Franchir la porte d’entrée des studios de Buftea, c’est passer de l’autre coté d’un écran de cinéma. On traverse une rue française tout droit sortie du XVIIIe siècle, on croise une villa cossue, on aperçoit au loin un camp tsigane et un village médiéval. Signe particulier: les façades sont soutenues par de lourds échafaudages, les murs sont en polystyrène, les portes ne mènent qu’à un grand vide. Dans le bâtiment administratif, l’escalier en marbre est recouvert d’un tapis rouge et surmonté du drapeau de l’OTAN. «Pour reconstituer l’entrée du Palais de Cotroceni, pour une série télévisée », glisse Hana Serbu, chargée de l’accueil du public.

L’histoire même de la naissance des studios semble tirée d’un scénario. La légende raconte que Gheorghiu-Dej, secrétaire général du Parti communiste dans les années 1950, aurait lancé la construction de Buftea car sa fille, Lica, voulait faire carrière sur grand écran. Derrière l'anecdote, la création a surtout été motivée par la volonté du nouveau régime d'utiliser le septième art comme instrument de propagande. De 1959 à 1989, près de 80% des films réalisés dans les studios roumains (une vingtaine chaque année) étaient des productions plus ou moins ouvertement dédiés à la gloire du régime communiste.

Mais Buftea va aussi permettre l’émergence d’une génération de cinéastes roumains -Dan Pita, Mircea Veroiu, Sergiu Nicolaescu. Certains seront reconnus sur la scène internationale , à l’image de Gopo, récompensé à Cannes par la Palme d’or du meilleur court-métrage en 1957 ou de Liviu Ciulei, sacré meilleur réalisateur, toujours à Cannes, pour «La forêt des pendus» en 1965.
Rapidement, les studios vont aussi s’ouvrir aux productions étrangères. «Après 1968, lorsque Ceausescu s’est prononcé contre l’intervention russe en Tchécoslovaquie, la Roumanie a été perçue comme un pays plus ‘ouvert’», explique Roxana Crisan, responsable des relations publiques. «Mayerling» de Terence Young ou «Les Mariés de l’An II» de Jean-Paul Rappeneau y sont ainsi tournés.

Trois hectares de surface, vingt plateaux, quatre bassins pour les prises sous-marines…

Avec la chute de Ceausescu, le rideau tombe sur Buftea. Faute de financements, les studios glissent vers la faillite; les tournages se raréfient, l’équipe dirigeante ne parvient pas à opérer la transition. En 1998, ils sont mis en vente aux enchères. C’est le groupe Mediapro, conduit par Adrian Sarbu, qui l’emporte pour 107 milliards de lei de l’époque, soit l’équivalent de 10 millions d’euros actuels. C’est l’heure de la renaissance.

Une décennie plus tard, les studios Mediapro Pictures -leur nom officiel- affichent une éclatante santé. De nombreux programmes de Pro TV, comme les émissions de divertissement «Dansez pentru tine» ou des telenovelas telle «Inima de tigan», sont filmés sur place.
Surtout, le complexe accueille un nombre croissant de tournages de films. Outre les long-métrages locaux («California Dreamin’» de Nemescu, prix Un Certain regard à Cannes, a été réalisé et produit par les studios), les films étrangers sont de plus en plus nombreux. Derniers en date: «Fire and Ice», de Pitof, «Seeker: the dark is rising» de David Cunningham, produit notamment par la 20th Century-Fox.

Pourquoi ce succès? Coté infrastructures, Buftea joue dans la cour des grands. Après plusieurs extensions, les studios offrent désormais un parc de 28.000 mètres carrés, 20 plateaux, quatre bassins pour les tournages sous-marins -dont le plus important d’Europe de l’Est avec une surface de 750 mètres carrés et une hauteur de 5 mètres-, 30.000 costumes d’époque, un atelier de construction de décors, des décors extérieurs, un laboratoire de post-production, 500 employés… Après des premières années «difficiles» et des tournages de séries Z, Buftea s’est fait une réputation sur les scènes européenne, puis hollywoodienne. «Le vrai déclic a été le tournage d’Amen de Costa-Gavras. Ensuite le bouche à oreille a fait le reste.» Suivront «Callas Forever», «Modigliani», «Joyeux Noël»…

Surtout, la Roumanie (et plus largement l’Europe de l’Est) dispose d’un atout majeur pour attirer les réalisateurs: le coût. Un tournage y est jusqu’à 70% moins cher qu’à Los Angeles! Elle serait, en outre, 20% moins coûteuse que d’autres pays de la zone, telle que la République tchèque. Mais attention, si Buftea attire les productions étrangères, «c’est car ce coût moindre s’accompagne d’une prestation de grande qualité», insiste Roxana. «Un grand réalisateur ne viendrait jamais ici s’il n’avait pas la certitude de travailler avec des équipes compétentes. Aujourd’hui, nous avons des équipes au niveau, ce n’était pas forcément le cas les premières années mais les techniciens se sont formés au fil de tournages et maîtrisent les façons de travailler européennes ou américaines.» Autre atout: le pays lui-même. «Les paysages sont variés, préservés, il existe aussi des zones marquées par l’héritage communiste, propices à des tournages. Il n’y a qu’un seul bémol: l’état des infrastructures, des routes aux hôtels. En Bucovine par exemple, les paysages sont magnifiques, mais c’est bien trop loin et mal desservi.»

Reste que le succès des studios ne devrait que s’amplifier: plusieurs tournages sont déjà prévus en 2008 -impossible d’avoir plus de détails-, Mediapro souhaite développer la réalisation de coproductions régionales et la production de films roumains à l’image de «California Dreamin’». Enfin, un centre d’accueil doté de tout le confort -spa, pédicure, restauration…- sera bientôt achevé. Les studios espèrent également bénéficier de «l’effet Mungiu». «Avec la Palme d’or et le prix Un certain regard, tous les regards se sont tournés vers la communauté roumaine du cinéma. On sentait déjà un frémissement, mais depuis, il est clair que l’intérêt est de plus en plus marqué.»



La vie de Castel

Fondée par Vlad Paunescu, la société Castel Films a vu le jour en 1992. Composés de deux plateaux au départ, les studios ont grandi au fil des ans: ils possèdent aujourd’hui 9 plateaux de tournage dont le plus grand d’Europe. Le tout à une demi-heure de route au nord de Bucarest. En 15 ans, 125 films y ont été réalisés. Des productions étrangères pour la plupart. «Seuls deux films roumains ont été tournés dans nos studios pour le moment», détaille Bogdan Moncea, directeur du marketing. «A l’heure actuelle, un troisième, ‘Nunta Muta’, de Horatiu Malaele est en phase de post-production, et nous allons commencer dans quelques jours le tournage de ‘Luna verde’ de Alexa Visarion.» Ce sont donc essentiellement les productions étrangères qui font le succès de Castel Films. «Nous accueillons surtout des films des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France et d’Allemagne.» Parmi eux, Cold Mountain, Train de vie, Highlander, les Rois Maudits ou plus récemment Adam Resurected. «Nos atouts? Nos infrastructures, nos équipes, et surtout nos coûts de production, explique Bogdan Moncea, directeur du marketing à Castel Films. La Roumanie est en position de force en Europe dans ce domaine.»

Paru dans le numéro 34 de Regard

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