jeudi 27 mai 2010

Les premières graines du «bio»


Ils sont 3400, une goutte d’eau au regard des 420.000 exploitations que compte la Roumanie, à avoir fait le choix de l’agriculture biologique. Un choix courageux car il n’existe pas encore de vrai marché au plan national et les rendements obtenus sont bien inférieurs à ceux de l’agriculture traditionnelle. Portrait de l’un de ces irréductibles, Petrica Munteanu, «converti» au bio depuis 2001.

Regard perçant, détermination sans faille et foi de prosélyte: Petrica Munteanu est un pionnier de l’agriculture biologique en Roumanie. Depuis cinq ans, dans sa ferme de 35 hectares située à Traian, dans le département de Ialomita (à l’est de Bucarest), il cultive et élève selon les normes écologiques. Tout est parti d’un désir simple. «Manger et produire sainement.» Alors en 2001, Petrica, 46 ans, a décidé de transformer son exploitation agricole en ferme biologique. Deux ans ont été nécessaires pour éliminer toute trace de produits chimiques et autres pesticides dans le sol. «Je cultive des céréales (maïs, blé, tournesol…) selon les normes bio, sans aucun traitement chimique. Je pratique aussi la rotation des sols, en alternant chaque année les cultures sur les champs afin de préserver la richesse du sol. J’ai aussi acheté des animaux, 300 brebis et 50 chèvres, afin de collecter leurs excréments pour en faire de l’engrais naturel», détaille l’agriculteur. En 2003, il obtient son certificat «bio» auprès d’une agence de certification allemande, Lacon, car à l’époque il n’existait pas d’agence roumaine équivalente. Chaque année, la société effectue trois visites de contrôle dans la ferme des Munteanu, dont deux inopinés, afin de vérifier que les normes de production sont bien respectées et qu’aucun additif chimique n’est utilisé. Pour éviter toute pollution extérieure, de la part des exploitations voisines non bio par exemple, Petrica a planté trois épaisses rangées de buissons forestiers. «Pour protéger mes terres».
Ce virage bio a révolutionné les modes de production dans la ferme familiale, où Petrica travaille aux cotés de ses parents et de son frère. «Le travail reste le même, planter, entretenir, récolter, mais nous utilisons maintenant des techniques manuelles: la faux, un cheval et un soc pour creuser un sillon. Nous avons aussi installé des pompes pour puiser de l’eau propre et irriguer. Nous avons un tracteur mais nous ne nous en servons que sur une petite partie de l’exploitation, celle où nous cultivons les céréales», précise-t-il.

INTER / Sans intermédiaires

Mais le principal changement s’observe surtout sur le plan du rendement. «Evidemment, la récolte est bien plus faible qu’auparavant», lance Petrica, «je produis 2500kg de blé par hectare, contre 4 à 5000 auparavant.» Pour s’en sortir financièrement et assumer son choix courageux, Petrica et sa femme Mariana ont décidé de vendre leur production sans intermédiaire, car il n’est pas possible de faire valoir la qualité pour vendre à un prix largement supérieur à celui du marché. «La vente directe était la seule solution. Sinon j’aurais fait faillite dès la première année.» Les deux époux ont loué un stand sur un marché de Bucarest et y vendent leurs produits de juin à octobre. Sur Piata Norilor, ils font «sensation» avec leurs produits certifiés écologiques. «Nous sommes les seuls sur le marché. Nous vendons les produits frais 10% plus cher le premier jour puis nous nous alignons sur les prix pratiqués par les autres commerçants. On s’est fait connaître peu à peu, on a fini par se constituer une clientèle d’habitués. J’ai essayé de développer un réseau de vente auprès de certains magasins mais sans suite pour le moment. Il n’y a pas encore de vraie culture de la consommation bio en Roumanie. Seul un client sur dix y est sensible d’après moi. Mais je suis sûr que les mentalités vont finir par évoluer.»
Bon an, mal an, Petrica Munteanu a réussi son pari et fait de son exploitation bio une ferme rentable. En 2007, il a ainsi dégagé un bénéfice de 10.000 lei (près de 2800 euros). «Evidemment, si on pense seulement en terme de rentabilité, il vaut mieux rester dans l’agriculture traditionnelle. Mais on doit penser à l’avenir, à l’environnement. Je pense en plus que le modèle de l’agriculture biologique peut être un espoir pour les agriculteurs roumains, qui pour beaucoup possèdent de petites exploitations. Sans compter que la Roumanie possède une tradition de culture «naturelle», notamment en Bucovine. Dans mon village, à Traian, j’ai organisé un symposium sur le sujet pour sensibiliser les autres producteurs aux techniques bio. Pour le moment, aucun n’a franchi le pas mais ils sont très intéressés.» Avec une abnégation admirable, Petrica prêche donc la bonne parole. Mais toutes ces volontés individuelles sont selon lui insuffisantes pour donner un vrai élan à l’agriculture biologique. «Il faudrait que nous soyons soutenus par le ministère, que des programmes d’aides financières soient mis en place, que les banques suivent. Pour le moment, ce n’est pas le cas, le bio n’est pas considéré comme une priorité. Pourtant, je suis convaincu que ce type d’agriculture, s’il est soutenu, peut représenter à terme 15 à 20% du secteur».

Marion Guyonvarch

Alternative plus que panacée

1%. C’est la part infime des surfaces cultivables roumaines consacrée à l’agriculture biologique. Sur le marché local, la vente de produits certifiés bio ne dépasse pas ce pourcentage, avec un chiffre d’affaires d’environ 2 millions d’euros par an. Point positif pourtant, la Roumanie se classait fin 2007 dans les vingt premiers pays exportateurs de produits «bio», selon les autorités gouvernementales.
Du côté du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, le secteur est perçu comme une alternative intéressante mais pas comme le remède miracle. «L’agriculture bio a une bonne image en Roumanie. C’est une chance, notamment grâce à l’existence d’un véritable marché européen. Ce genre de production, assez complexe car nécessitant de bonnes compétences techniques, pourrait constituer une alternative, mais je ne pense pas que c’est cela qui sauvera l’agriculture roumaine», estime le ministre Dacian Ciolos. «Nous avons néanmoins l’ambition de développer un office national de promotion des produits bio ainsi que les produits de qualité et du terroir.»

Paru dans le numéro 35 de Regard

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