jeudi 27 mai 2010

Quand l’ours revit

En Roumanie, l’ours brun est une espèce protégée. Malgré ce statut, il continue d’être « domestiqué » par l’homme. Pour permettre à ces ours captifs de retrouver la forêt, Cristina Lapis a fondé il y a trois ans Libearty, un « sanctuaire » de 69 hectares, à une trentaine de kilomètres de Brasov. Reportage dans cette réserve, la plus grande du genre en Europe.

Max s'approche avec lenteur. La faute à ses 400 kilos mais surtout à ses yeux. Détruits. Les rétines brûlées par son ancien propriétaire. Max est un ours brun. Pendant dix ans, il a distrait les touristes et enrichi son “dresseur” devant le palais de Peles, à Sinaia. Loin de sa forêt natale, il vivait dans une cage minuscule, avec interdiction de se mettre debout. Jusqu'à ce que Cristina Lapis, présidente de l'association de défense des animaux « Millions d'amis » l'arrache à ce triste destin.

Bien que l’ours brun soit une espèce protégée et que la Roumanie ait signé sans réserve la convention de Berne, il n'est pas rare que cet animal sauvage soit “domestiqué” et échoue dans des cirques ou chez des particuliers qui l’utilisent à des fins commerciales. Pour Max, et pour tous ces ours rendus dépendants par ce contact avec les hommes, le retour à la vie sauvage est impossible ; et la seule solution fut pendant longtemps l’euthanasie. « Une fois qu'un ours a été nourri et entretenu par un homme, il est perdu pour la forêt », explique Cristina.

Blonde au regard lumineux, elle a lutté pendant des années pour mettre sur pied un lieu capable d’accueillir ces ours « captifs », dans un cadre protégé en pleine nature. En grande partie en mémoire de Maia, une ourse emprisonnée qu’elle a tentée de sauver pendant des années, mais qui « est morte dans mes bras ». « Je me suis juré alors que ça n'arriverait plus », assène Cristina.
L’accouchement de ce projet de réserve naturelle fut difficile, entre obtention des autorisations, recherche des financements, du terrain...C'est finalement à Zarnesti (département de Brasov), sur un terrain mis à disposition par la mairie, que Libearty, financée par la WSPA (association mondiale de protection des animaux) et des donations, voit le jour en août 2005.

Aujourd’hui, ce sont 38 ours bruns, dont Max, tous anciens captifs ou pensionnaires de zoos, qui y redécouvrent une quasi-liberté selon un processus bien réglé. « On les récupère dans le pays. Il faut qu’ils se remettent physiquement car ils sont en mauvaise santé, ont des problèmes dentaires à force d’avoir rongé les barreaux, ont de l’arthrose,... », explique Lotzi Dinka, le directeur de la réserve. Après un séjour en quarantaine et un passage en « zone d’entrainement », les ours sont relâchés dans la nature. Chaque jour, 14 employés se relaient pour les nourrir. Plusieurs enclos, protégés par des barrières électrifiées, ont été érigés sur les 69 hectares de la réserve, des bassins d’eau aménagés. L’ensemble du domaine est surveillée par une batterie de caméras.

A voir Sofia et Miko, deux jeunes ours d’un et deux ans grimper aux arbres, « le regard enfin heureux », Libearty semble réussir son pari. Mais cette solution reste malgré tout un pis-aller. « C’est une belle fin de vie », explique Cristina, « mais ça ne remplacera jamais la vie qu’ils auraient eu à l’état sauvage. Il faut changer les mentalités, faire comprendre que l’ours est un animal sauvage.» Et pour appuyer son discours, elle raconte l’exemple de cet ourson, qu’une famille a voulu élevé comme son propre enfant. « Elle mangeait à table, dormait avec eux… elle aussi est perdue pour la forêt. »

Alors pour faire bouger les esprits, elle a accepté d’ouvrir la réserve au public. Attention, Libearty n’a aucunement vocation à devenir un zoo ; mais elle accueillera ponctuellement et sur demande des groupes pour les sensibiliser au sort de ces ours captifs et, plus largement, à ceux de cette espèce menacée (lire encadré).
Le combat de Cristina est loin d’être terminé. D’après les signalements qu’elle a reçus, il y aurait encore au minimum une trentaine d’ours en captivité à travers le pays. « L’un d’entre eux est par exemple enfermé sur le parking d’une station essence», affirme Cristina, qui déplore l’immobilisme des autorités et lutte souvent seule pour réussir à convaincre les « propriétaires » de rendre ces animaux à ce lieu qu’ils n’auraient jamais dû quitter : la nature.


Encadré
Des ours qui quittent la forêt pour venir se nourrir dans les poubelles de Brasov, plusieurs cas de touristes ou promeneurs attaqués, blessés ou tués … Ces dernières années, la cohabitation entre ces animaux sauvages et l’homme ne se fait pas sans problèmes. Officiellement, la Roumanie abrite 6000 ours bruns, soit 60% des spécimens recensés en Europe (des quotas de chasse - 330 animaux en 2008 - sont établis chaque année).
La plupart des accidents semblent être imputables à l’homme, qui « ne respecte pas l’habitat des ours, ou pire encore, veut les transformer en attraction touristique », explique Dorel Noaghea, le responsable de l'association des chasseurs de Brasov. Mais les autorités ont enfin pris des mesures. Un programme de relogement des « ours éboueurs » - ceux qui descendent se nourrir aux poubelles de Brasov et des villes limitrophes - a été prévu et les autorités envisagent d’installer un système d’ultrasons pour tenir les ours à distance. M.G.

Paru dans le numéro 38 de la revue Regard

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