jeudi 27 mai 2010

Mon cottage en Transylvanie


Peuple migrateur, les Britanniques quittent en masse leur île natale pour des latitudes plus clémentes et moins chères, loin des prix exorbitants de l'immobilier anglais. Dans le centre de la Roumanie, au coeur du pays saxon, une poignée de pionniers a choisi de poser ses valises et participe activement à la restauration du patrimoine et au développement local. Depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, l'intérêt pour la région ne fait que croître. Après la Dordogne, l'Espagne ou l'Italie, la Transylvanie va-t-elle devenir dans les prochaines années le nouvel eldorado des sujets de sa gracieuse Majesté ?

Sans cette panne de voiture, Lucy Abel Smith n'aurait jamais trouvé son «coin de paradis». Il y a cinq ans, cette Britannique de 57 ans, historienne de l'art et amoureuse de la Roumanie qu'elle connaît depuis les années 1970, tombe en rade sur une route perdue de Transylvanie. Elle cherche un téléphone, débarque par hasard dans le village de Richis. Elle y trouve finalement une maison. Nichée au coeur des collines verdoyantes, avec vue imprenable sur les troupeaux de moutons et la ronde des charrettes. Bien loin de l’atmosphère urbaine de Gloucester... Elle rachète cette bâtisse saxonne traditionnelle pour 6000 euros et la rénove en respectant matériaux et techniques traditionnels.

Depuis, elle avoue y venir «dès que je peux, six ou sept fois par an, quand mon métier m'en laisse le temps. J'ai voyagé beaucoup, partout, mais il n'y a qu'ici que je ressente une telle sensation de paix. La vie correspond aux traditions et à la culture anglaise -ce goût des paysages, de la nature, de la paix. Cette paix, nous l'avons perdue en Grande-Bretagne, alors nous partons la chercher ailleurs...» Lucy n'est pas un cas isolé: un nombre croissant de Britanniques se prennent de passion pour la campagne transylvaine et choisissent d'y poser leurs valises.

Le phénomène est encore loin d'atteindre les proportions de la Dordogne ou de la Bretagne, investies par les Britanniques, mais l'attraction et la fascination qu'exerce la Transylvanie sont bien réelles. La preuve: des catalogues d’agences immobilières proposent désormais des biens en Transylvanie et les prix grimpent.

« J'aime vivre ici, j'aime les gens, la langue, la culture »

Sur la terrasse de son restaurant, à deux pas de l’église du village saxon de Saschiz (à une dizaine de kilomètres de Sighisoara), Sorin Stoichitescu fume sa cigarette en souriant. Il y a deux mois, il a vendu sa maison à un Irlandais, tombé amoureux de la région. «Il est venu boire un café ici, il cherchait une maison. II a acheté la notre, 30 000 euros. Il veut s’y installer quand il sera à la retraite. Il est aussi en train de racheter le manoir du hameau voisin pour ouvrir des chambres d’hôtes.»

Car ces anglophones qui optent pour la Transylvanie le font par passion pour la région, sa culture, ses paysages enchanteurs. Et s'impliquent fortement dans la préservation et la restauration du patrimoine régional. A Saschiz, classé au patrimoine mondial de l'Unesco, deux Anglais, Nat Page et Jim Turnbull, ont monté une fondation baptisée Adept, engagée dans un vaste projet de développement local via l'agro-tourisme et l'agriculture biologique. Ils viennent de racheter une maison saxonne au coeur du village. Marteaux, scies, planches de bois qui jonchent le sol... le bâtiment est un véritable chantier. Une fois retapée, la maison abritera le siège de l'association, des produits agricoles et artisanaux locaux y seront vendus, une cuisine aux normes européennes construite et mise à la disposition des habitants, des formations sur l'agro-tourisme y seront proposées. Avec pour seul objectif de faire revivre le village, de former la population et d'aider au développement économique local pour éviter la fuite vers les villes. Idem à Viscri (lire ci-dessous), où la Fondation Mihai Eminescu Trust a permis la rénovation d’une centaine de maisons.

Sur une place ombragée de la citadelle de Sighisoara, une partie de l'équipe d'Adept s'offre une pause café après un cours de formation. Parmi eux, Gavin Bell et Colin Shaw, tous deux installés à Brasov. Deux itinéraires différents mais une même passion pour ce coin d’Europe chargé de légendes. Gavin, 41 ans, a débarqué en 2002, avec une bourse d'études, pour trois semaines. «J'ai aimé ce pays au premier contact», se souvient-il. «J'y suis revenu, j'ai rencontré celle qui allait devenir ma femme et je me suis décidé à venir vivre ici. A cause de mon travail, je ne vis ici que six mois par an, mais ça ne tiendrait qu'à moi, je serais là en permanence. Pourquoi? Déjà, c'est une région unique, qui concentre un patrimoine naturel et historique unique en Europe. Mon futur, je le vois ici, nulle part ailleurs.» Outre sa collaboration active avec Adept, ce quadragénaire gouailleur a lancé son propre «business». Motard pur sucre, il propose des tours de Roumanie en moto aux fans british de grosses cylindrées.

A ses côtés, Colin, 50 ans, discret et pondéré, raconte fièrement ses «presque 13 ans» de Roumanie. En 1994, il atterrit à Bucarest comme assistant social dans un centre pour enfants handicapés. Il ne quittera plus le pays. Après des années passées à Harja (département de Bacau) dans une maison pour enfants abandonnés, il choisit Brasov pour lancer son agence de tourisme, Roving Romania. Le concept: des tours personnalisés du pays en Land-Rover. «J'avais ce rêve depuis longtemps. J'aime vivre ici, j'aime les gens, la langue, la culture. Et le fait que chaque jour te provoque. Tu n’es pas enfermé dans une routine engourdissante comme en Angleterre.» Pas supplémentaire vers l'installation définitive, Colin vient de vendre sa maison en Angleterre et cherche à en acheter une dans un village «reculé» près de Brasov.
Passionnés, engagés, impliqués: l'arrivée de ces « pionniers » britanniques fait souffler un vent de renouveau dans les villages de la région, et a souvent permis d'amorcer un véritable mouvement de renaissance. «C'est une bonne chose qu'ils achètent des maisons, s'impliquent», confirme Anca, une jeune villageoise de Saschiz. «Ils nous aident à prendre conscience de la valeur de notre patrimoine. Mais il ne faut pas que la région devienne un aimant à étrangers qui rachètent des maisons pour venir y passer deux semaines par an. Déjà, les prix ont augmenté; il ne faut pas que les locaux ne puissent plus acheter ou préfèrent vendre pour faire une bonne opération financière.»

Pas de risque majeur pour l'instant, à en croire ces Transylvains adoptifs de la première heure. «La Roumanie est certes considérée comme LE pays où il faut investir, son image s'est largement améliorée en Angleterre. Mais ce n'est pas encore la Provence. Et je pense que les investisseurs se dirigent plus vers les villes», estime Gavin Bell. Même constat pour Lucy Abel Smith. «Il est encore difficile pour un étranger d'acheter une maison en Roumanie, c'est aussi assez loin de l'Angleterre, moins connu. Nous sommes tranquilles pour encore quelques années!»

Marion Guyonvarch

Le «village du Prince Charles»

C’est un paradis perdu au cœur des collines transylvaines, sorti de sa torpeur grâce à l’acharnement d’une femme et le soutien d’une fondation anglaise. Viscri, 400 habitants, est désormais connu sous le nom de «village du Prince Charles». L’héritier de la couronne britannique est venu ici à trois reprises et lors de sa dernière visite, une maison lui a été offerte. Le lien entre le Prince de Galles et Viscri? La fondation britannique Mihai Eminescu Trust, dont il est le parrain, finance de nombreux projets dans la région depuis 1999. L’histoire de cette coopération anglo-roumaine débute en 1994. A l’époque, Viscri se meurt; les Saxons ont quitté le village en masse après la révolution pour tenter leur chance en Allemagne. Caroline Fernolend, l’une des habitantes, est déterminée à sauver les traditions et l’âme de son village. Quand Jessica Page, directrice de la Fondation, passe à Viscri, Caroline sollicite son aide. Cinq ans plus tard, le projet voit le jour grâce à des sponsors britanniques privés. «Nous restaurons des maisons (105 pour le moment à Viscri, NDLR) selon les méthodes traditionnelles, dans 17 villages de la région. Nous assurons aussi des formations aux métiers traditionnels pour offrir du travail et une qualification aux habitants. Nous proposons aussi des formations en tourisme, avons poussé les gens à monter des pensions. Le but, c'est vraiment de revitaliser le village tout en préservant notre culture, nos traditions et notre authenticité», explique, enthousiaste et déterminée, Caroline Fernolend.

En vacances chez Dracula

A Miclosoara (Miklosvar), à cinquante kilomètres de Brasov, la maison d'hôtes du Comte Kalnoky est une belle demeure rénovée dans le respect des traditions. Ici, on accueille essentiellement des touristes anglais et anglo-saxons, toujours plus nombreux. Articles élogieux vantant les charmes du pays de Dracula, multiplication des agences de voyages: outre-Manche, les vacances made in Romania ont la cote. Et la Transylvanie, avec sa nature sauvage et son riche patrimoine, constitue une destination très appréciée. «J'ai lu un article dans la presse, c'est ce qui m'a donné l'envie de venir», explique Leslie, la quarantaine, venue avec mari et enfants. «C'est un mélange idéal de nature et d'histoire. On ne connaît rien de la Roumanie, on n'a que quelques clichés en tête. Et quand on arrive ici, on tombe immédiatement sous le charme!» Près de 60000 Britanniques ont visité la Roumanie en 2005. On en attend un quart de plus en 2007.

Paru dans le numéro 29 de la revue Regard

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