jeudi 27 mai 2010

Sexualité: l'urgence d'informer

En juin dernier, un rapport de la Commission européenne dressait un triste bilan : les adolescentes roumaines sont parmi les plus nombreuses en Europe à avorter ou à avoir des grossesses non désirées. Après des années d’interdiction de la contraception sous le communisme, un programme de planification familiale essaie depuis 1990 d’aider les femmes roumaines à maitriser leur sexualité. Reportage.

Dans cette aile de l’hôpital bucarestois Panait Sarbu, la salle d’attente n’est peuplée que de femmes. Agées entre 15 et 50 ans, elles sont venues bénéficier des services du principal centre de planification familiale du pays, où elles sont suivies gratuitement. Depuis 1990, près de 34.000 patientes en ont poussé la porte. Ce centre est surtout l’adresse la plus indiquée en matière de contraception, notamment pour les jeunes. Ici, les lycéennes et étudiantes (environ 50% des patientes) profitent de consultations et de contraceptifs gratuits.
En cette fin de matinée hivernale, une silhouette frêle fait irruption dans le cabinet de Mihaela Grigoriu, l’une des gynécologues du centre. Carmen, 23 ans, s’assoit. « J’ai avorté à 18 ans ; j’avais été informée sur la contraception mais je n’en utilisais pas, j’étais persuadée que rien ne m’arriverait. Je suis tombée enceinte. Après l’avortement, j’ai pris la pilule pendant trois ans, la même qu’une de mes amies, sans recommandation médicale. Là, je commence à avoir des cycles perturbés», raconte la jeune fille. Son histoire ressemble à celles de milliers d’autres jeunes Roumaines pour qui l’accès aux contraceptifs et surtout leur utilisation ne va pas de soi.

« C’est le poids de l’histoire», explique Borbala Koo, directrice de la société roumaine d’éducation contraceptive, « sous Ceausescu, la contraception était interdite, d’où le recours massif à l’avortement. Depuis 1993, un programme national de planification familiale a été mis en place et le taux a sensiblement chuté – il a été divisé par 7 depuis 1989. Mais il reste supérieur à celui des pays d’Europe de l’Ouest. Il est difficile de changer les mentalités… »

Entre préjugés et manque de communication
La contraception elle-même reste assez peu répandue : un peu plus de 40% des femmes utilisent un moyen de contraception. Les adolescentes n’échappent pas à la règle, malgré des informations dispensées dans les collèges et un accès facile aux contraceptifs, partout dans le pays. « Les médecins de famille ont été formés par les services du planning familial et peuvent distribuer gratuitement des contraceptifs», explique Mihaela Grigoriu.

« Depuis 1993, un programme national de planification familiale a été mis en place et le taux d’avortement a sensiblement chuté – il a été divisé par 7 depuis 1989 »


Reste qu’au moment de commencer leur vie sexuelle, les jeunes filles sont peu nombreuses à pousser la porte du médecin. « Certaines viennent nous consulter avant d’avoir des relations, mais beaucoup arrivent après un avortement. C’est valable pour toutes les catégories sociales », reconnaît Mihaela. «Les jeunes savent qu’un rapport sexuel non protégé peut mener à une grosses non désirée. Mais ils ne se protègent pas pour autant. Il y a une réticence des adolescentes à demander des contraceptifs et le taux d’avortement est plus important que chez les femmes plus âgées », confirme Adriana Constantin, médecin au centre de Panait Sarbu. « Il y a encore, chez les parents et donc chez leurs enfants, des idées fausses – la pilule qui ferait grossir, le stérilet qui provoquerait le cancer… » .

« Il faudrait de vraies campagnes d’éducation sexuelle dans les écoles, d’autant que le dialogue est souvent difficile en famille, notamment dans les campagnes », notre Borbala Koo, « Il faut éduquer les jeunes Roumains à la sexualité, aux rapports amoureux, à l’appréhension de leur vie sexuelle. Car il y a aussi le problème des maladies sexuellement transmissibles.»

Malgré les progrès qui restent encore à faire, les médecins du Planning familial regarde le chemin parcouru depuis 1989 avec fierté, et l’avenir avec confiance. « La situation va continuer de s’améliorer, les mentalités d’évoluer et le recours à une contraception moderne de se répandre », prédit Mihaela. Pour Carmen, en tout cas, qui quitte le cabinet avec une série d’examens sanguins et la promesse d’une pilule adaptée, c’est désormais une réalité.

Marion Guyonvarch

Paru dans le numéro 39 de la revue Regard

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